Elle trace sa route, la Genevoise Aude Seigne, découverte avec Chroniques de l’Occident nomade (Paulette et Zoé), prix Nicolas-Bouvier en 2011. Après Les neiges de Damas en 2015, l’écrivaine de 32 ans, membre du collectif littéraire de jeunes auteur(e)s romand(e)s, l’Ajar, s’aventure un peu plus loin encore dans la fiction, en imaginant un scénario d’anticipation aux très forts accents réalistes. Que se passerait-il si Internet s’éteignait subitement sur toute la planète ? Et comment pourrait-on s’y prendre pour tout couper ? La mise en œuvre de "la Panne", un piratage à grande échelle, un sabotage multiforme mais "sans victime" du world wide web, court dans la deuxième moitié du roman qui se déroule sur neuf mois. Mais avant d’entrer dans la spéculation, Une toile large comme le monde présente une petite communauté d’internautes, dispersés aux quatre coins du monde occidental, qui vont porter avec plus ou moins d’activisme ce projet radical de digital detox.
Pénélope, informaticienne programmatrice le jour, hackeuse la nuit, travaille chez elle en Suisse et vit avec Matteo, un plongeur qui installe des câbles téléphoniques sous-marins en mer de Chine. June à Portland, une chimiste reconvertie dans la fabrication de cosmétiques à base de produits naturels, forme un "trouple" avec Evan, "community manager" dans une compagnie d’assurance, et Olivier, qui tient un café-librairie. La Danoise Birgit dirige une fondation qui sensibilise au gaspillage énergétique lié à Internet. Lu Pan est un jeune YouTuber star, reclus dans sa chambre avec vue sur le port de Singapour où son père, un ingénieur chinois expatrié, gère le trafic des cargos. En télescopant leurs trajectoires déjà plus ou moins directement connectées, Aude Seigne se fait l’observatrice critique de ce monde pris dans la toile. Mais, elle-même enfant du siècle numérique, elle n’est jamais dans la dénonciation démonstrative. Elle s’emploie à rendre sensibles les contradictions de ses personnages, reliés et seuls, leur vulnérabilité et leur force collective. Surtout, elle parvient à matérialiser le virtuel en rendant visibles ces data centers ultra sécurisés et la cartographie des millions de kilomètres de câbles, sous nos pieds, au fond des océans, par lesquels transite une large part de nos vies. V. R.