Des campagnes de dénigrement et de pétition sur les réseaux sociaux aux pressions directes sur les éditeurs et les libraires, il ne se passe plus de semaine sans que ne soit menée une offensive visant à stigmatiser un livre, à en contrecarrer la publication ou la diffusion, à humilier ou à faire taire un auteur sous un prétexte ou un autre. Les initiateurs de ces opérations de déstabilisation de plus en plus nombreuses, tenants d'un ordre moral dont ils s'autoproclament les gardiens, ne font pas appel aux tribunaux. Ils préfèrent recourir à l'infox et à la manipulation plutôt que d'établir la preuve des turpitudes qu'ils prétendent dénoncer, quand ils ne tombent pas eux-mêmes sous le coup de la loi pour des actions racistes, sexistes ou antisémites. Ils mettent en cause la liberté d'expression, mais aussi l'Etat de droit et les fondements de la démocratie.
Aussi ne saurait-on prendre à la légère l'autodafé de livres pratiqué, dimanche 31 mars en Pologne, par un groupe de prêtres d'une paroisse catholique de Gdansk. Partagé sur Facebook, l'incendie, en public, de nombreux livres parmi lesquels des volumes d'Harry Potter et de Twilight, rappelle les heures les plus sombres de l'histoire européenne. Les tags antisémites, racistes et sexistes, comportant menace d'agression physique à l'encontre de Christine Angot, apposés mi-mars dans un tunnel menant au Palais des arts de Vannes où la romancière devait se produire dans le cadre du festival « Les Émancipées », relèvent de la même ignominie.
Le plus inquiétant reste la faiblesse des réactions suscitées par la multiplication de ces déchaînements de haine. En Pologne, à ce jour, ni l'épiscopat, ni le gouvernement n'ont condamné l'autodafé. En France, l'ancien ministre Jack Lang est malheureusement fondé à dénoncer dans son blog duHuffington Post« l'accoutumance à la haine »que révèle une « affaire Angot » qui nous concerne tous, et appelle des réponses citoyennes et politiques autant que judiciaires.