Il y a un ton, une patte chez David Bezmozgis, écrivain qu’on guette depuis la parution de Natasha et autres histoires chez Christian Bourgois en 2005 (repris chez 10/18). Le Canadien s’était déjà révélé un romancier de haut niveau avec Le monde libre (Belfond, 2012, repris chez 10/18). Le voici meilleur encore dans Refuznik.
Le héros de Bezmozgis arbore un Borsalino blanc et des lunettes noires. Baruch Kotler ne débarque pas seul à Yalta. Mais en compagnie de sa jeune et voluptueuse maîtresse au tempérament volontaire, Leora. L’ancien refuznik, qui a passé treize ans dans les geôles et les camps soviétiques, et sa belle arrivent de Tel-Aviv.
Le lecteur apprend que Kotler avait 20 ans en 1970 et qu’il s’est d’abord appelé Boris Salimonovitch. Il a été enfermé à 25 ans et relâché à l’âge de trente-huit. Il est ensuite devenu un homme politique influent. Il s’est récemment opposé au Premier ministre israélien et s’est exprimé à la fois devant la Knesset et dans une tribune du New York Times.
Baruch Kotler a "la longue habitude de ne pas se laisser faire". On le décrit "notoirement entêté". Sur un coup de tête, monsieur a quitté femme et enfants pour partir avec une amie de sa fille. Est-ce parce qu’il estime que l’on "se doit d’appartenir à quelque chose" qui vous "dépasse" ? A Yalta, où l’on trouve à se loger en haute saison, Kotler tombe sur celui qui l’a dénoncé quarante ans plus tôt. Son ancien camarade de chambre à Moscou, informateur du KGB qui a prétendu qu’il était un agent de la CIA…
On est ici impressionné par la manière jamais démentie qu’a David Bezmozgis de jouer avec les contrastes. De se montrer corrosif, incisif et profond à mesure qu’il affine le portrait d’un personnage qui se sent enfin libre et doit pourtant se confronter à son passé. Al. F.