Avant-critique Essai

Stefano Scrima, "Philosophie du canapé. Comment vivre une vie détendue" (Rivages)

Stefano Scrima - Photo © Mattia La Torre

Stefano Scrima, "Philosophie du canapé. Comment vivre une vie détendue" (Rivages)

Avec une belle énergie, Stefano Scrima s'est lancé dans une réjouissante philosophie du divan.

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Par Laurent Lemire
Créé le 11.06.2024 à 09h00

Flemme, je vous aime. « Beaucoup d'esprits ont découvert l'Absolu parce qu'ils avaient près d'eux un canapé. » La sentence n'est pas tirée d'un catalogue Poltronesofà, mais d'un ouvrage de Cioran, Le crépuscule des pensées. C'est dire combien la réflexion est liée à la détente. Stefano Scrima est parti de ce constat pour construire sa méthode et transformer la philosophie en « philosofa ». Écrivain, musicien, ce jeune touche-à-tout est l'auteur d'une thèse sur l'existentialiste chrétien espagnol Miguel de Unamuno et de plusieurs ouvrages non traduits sur la philosophie en enfer ou sur le philosophe paresseux. Autant dire que ce métaphysicien du farniente ne se prend pas trop au sérieux, pas plus d'ailleurs que les grands esprits qu'il convoque dans sa réjouissante démonstration. Comme il l'indique en exergue, « aucun philosophe n'a été maltraité pour la rédaction de ce livre ». D'autant que l'un de ses guides s'appelle Bukowski, un glandeur qui se laisse difficilement bousculer.

Si la philosophie est une perte de temps, celle du canapé convient parfaitement à la paresse du corps mais pas de l'esprit, explique-t-il. Il est persuadé que « l'oisiveté est la mère de toutes les vertus » et que le canapé est « l'expression terrestre de la détente ». Car, sur un canapé, on se saisit moins d'un livre qu'on se laisse saisir par lui. Ce n'est pas pour rien que les psychanalystes ont choisi le divan pour accueillir cette fameuse « attention flottante », merveilleux euphémisme freudien pour signifier l'abandon subtil de l'écoute pour la divagation récréative. Certains ont même parlé de « troisième oreille », Scrima révèle ici le « troisième œil » de la lecture dont la paupière est lourde.

Le divan, belle invention du XVIIIe siècle, a beaucoup fait pour la métaphysique. Entre le lit et le fauteuil, « le canapé recrée matériellement l'espace de notre pensée ». Il permet au corps de se relâcher tout en conservant sa prestance comme nous le montre le personnage d'Oblomov. Avec lui, Gontcharov a élevé la fainéantise au rang d'art suprême, proche du non-agir des taoïstes. Quand le corps est allongé, la pensée s'élève. Évidemment, derrière l'apparente légèreté du propos, Scrima met à nu les blessures de la société. Son éloge de l'oisiveté conduit à une réflexion sur le travail, l'argent, la consommation et l'esclavage moderne. « L'oisiveté conduit donc à la philosophie et la philosophie conduit à l'oisiveté, si nous entendons par là la résistance aux projets que les autres ont conçus pour nous. »

Lire cette stimulante théorie du tire-au-flanc contre le dogme de la performance ne prendra pas trop de temps. Scrima a bien conscience que ses lecteurs sont aussi des cossards. D'ailleurs L'Éloge de l'oisiveté de Bertrand Russell, La paresse comme vérité effective de l'homme de Kasimir Malevitch, L'Éloge du repos de Paul Morand ou Le droit à la paresse de Paul Lafargue sont des textes courts. C'est le cas de ce petit traité de la vie allongée. En plein accord avec son sujet, le jeune moraliste a eu la flemme de faire plus long.

Stefano Scrima
Philosophie du canapé. Comment vivre une vie détendue
Rivages
Traduit de l’italien par Philippe Audegean
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 16 € ; 128 p.
ISBN: 9782743663353

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