19 septembre > Roman Macédoine

Goce Smilevski - Photo GALYA YOTOVA/BELFOND

La botte nazie bat le pavé de Vienne, on est en 1938, c’est l’Anschluss, la « réunification » de l’Allemagne et de l’Autriche au sein du IIIe Reich. Cinq sœurs se réfugient dans le vieil appartement de leurs parents. Certaines d’entre elles ont connu Berlin lors de l’avènement d’Hitler et n’ignorent pas sa haine à l’égard des personnes d’origine juive… La cadette Adolphine raconte ce qui les attend. Et aussi ce qu’elles auraient pu éviter, si leur frère aîné, Sigmund, psychanalyste de renom, s’était donné la peine de leur obtenir un visa de sortie. Poussé par des amis influents, le Dr Freud part pour Londres. A Adolphine qui lui a reproché de les avoir oubliées, elles, ses sœurs, le père de la psychologie des profondeurs a répondu qu’il n’y avait pas à s’inquiéter, et que la situation allait s’apaiser. Déportées, elles mourront en camp de concentration.

L’auteur macédonien Goce Smilevski (né à Skopje en 1975) et dont c’est ici la première traduction, emprunte la voix de la jeune sœur de la fratrie Freud pour faire se déployer le destin tragique d’une famille de juifs germanophones parfaitement assimilés (Sigmund Freud voue une admiration sans borne pour l’esprit germanique). Vienne fin de siècle, la capitale de l’Empire austro-hongrois bouillonne d’art et de culture… La narratrice se remémore le « monde d’hier » et un mal-être culminant dans la nuit de la déportation mais qui l’avait toujours habitée. Adolphine a des rapports tendus avec sa mère, qui lui répète avoir préféré qu’elle ne fût point née ou lui rappelle son statut de vieille fille. Avec son grand frère Sigmund, la fascination tendre frise l’état amoureux, et la déception de la narratrice sera d’autant plus grande.

Smilevski restitue avec une juste distance la sensibilité douloureuse d’une âme tiraillée entre son devoir filial et son aspiration à l’amour (elle s’éprend d’un grand mélancolique à l’hôpital où travaille Freud), son désir de création (elle s’inscrit dans un cours de dessin où elle fréquente Clara Klimt, la sœur de Gustav) et son aliénation au monde (elle rejoint son amie Clara dans une clinique psychiatrique). Un pathos ténu qui ne larmoie pas. Les pages sont traversées de réflexions intimes autour de la vie, de son irréductible étrangeté. Acte irrationnel, acte manqué ? « La liste de Freud », titre français du roman, c’est la liste des noms des personnes à sauver que doit établir le théoricien de l’inconscient. Il s’y trouve le sien, celui de son épouse et de ses enfants, de sa belle-sœur, de ses deux bonnes, de son médecin de famille, et même de son chien. Pas celui de ses sœurs.

Sean J. Rose

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