Entretien

Ancien P-DG de La Découverte, où il reste présent en tant qu'éditeur, François Gèze est très impliqué dans l'interprofession, en tant que président du groupe Universitaire du Syndicat national de l'édition et membre du Comité de suivi de l'édition scientifique. Il est également président de Cairn Info, plateforme de diffusion de revues de sciences humaines.

Livres Hebdo : Qu'est-ce qui pose problème aux éditeurs privés de revues dans l'accès ouvert de leurs contenus ?

François Gèze : Les éditeurs n'y sont pas opposés, mais il faut bien comprendre que c'est un changement important de leur modèle économique, qu'il est impossible d'effectuer brutalement. Nous appelons à un dialogue avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour que la transition s'organise sans catastrophe, en assurant la pérennité de la production et de la création des revues, sans transformer ce segment de l'édition en monopole public. Ce n'est pas souhaitable, en particulier dans le cas des sciences humaines.

Quel est le danger ? Le secteur public de l'édition scientifique paraît tout aussi créatif que le privé.

F. G. : La bibliodiversité est essentielle en sciences humaines, caractérisées par une pluralité de disciplines, de chercheurs, d'écoles de pensée, et cette édition ne peut pas être seulement étatique. Plus il y a diversité éditoriale, plus il y a diversité de création et de recherche, qui sont ainsi riches scientifiquement, intellectuellement et politiquement. La dépendance au seul budget public ferait peser un risque objectif de contrôle des contenus, et un risque économique car ces crédits sont plus face à une perspective de réduction que de hausse.

Le plan de soutien à l'édition scientifique n'a-t-il pas prévu 16,4 millions d'euros de financement sur cinq ans ?

F. G. : Une partie de ces crédits correspond à des achats de licence par les bibliothèques universitaires et les centres de recherche, qui devaient de toute façon être engagés. Mais c'est une évolution qui va dans le bon sens, notamment parce qu'elle consolide les contrats dans la durée, ce qui donne aux plateformes de diffusion une visibilité à plus long terme, leur permettant de développer de nouveaux services. Et ce plan a aussi permis de financer des études qui permettent enfin de connaître la réalité économique de ce secteur fragile, mais absolument essentiel à la production de la recherche en français. Si ce maillon, public comme privé, est fragilisé, la diffusion de la pensée française le sera également.

L'édition de sciences humaines n'est-elle pas une victime collatérale de la réaction publique face à l'oligopole des grands groupes d'édition scientifiques et techniques ?

F. G. : Que les pouvoirs publics se préoccupent des coûts très élevés d'accès aux grandes plateformes internationales d'édition scientifique, c'est légitime. Et l'idée que les traitements doivent être différents progresse, même si elle n'est pas encore complètement admise. A l'échelle de l'ensemble de l'édition française, c'est un très petit segment, mal connu, mais très significatif par son rayonnement et son utilité pour les chercheurs. C'est aussi une particularité française car la plupart des autres pays n'ont plus d'édition académique de sciences humaines dans leur langue nationale.

L'état de l'édition de revues influence-t-il l'édition de livres en sciences humaines ?

F. G. : Il faut distinguer deux catégories : l'édition grand public fonctionne plutôt bien et de mieux en mieux, ainsi que nous le constatons à La Découverte, mais les ventes de livres de recherche chutent depuis les années, au point qu'il devient impossible de financer les coûts de fabrication pour une diffusion en librairie. Ce qui nous a amenés avec Cairn à proposer un catalogue de livres de recherche en version numérique, qui atteint maintenant presque 10 000 références, et dont la diffusion connaît une croissance considérable, dans le monde entier.

Quel est l'enjeu du colloque organisé le 27 janvier à la Bulac ?

F. G. : Il s'agit d'abord de mettre en lumière les résultats des études réalisées, pour améliorer la connaissance collective de ce secteur qu'une partie des acteurs eux-mêmes appréhende mal. Il doit aussi favoriser le dialogue entre l'édition publique et privée, que tout le monde souhaite et que la ministre de la recherche juge nécessaire dans la mission qu'elle a confiée à Jean-Yves Mérindol sur l'avenir de l'édition scientifique en France.

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