Le phénomène a donc traversé l’Atlantique. Alors que l’American Library Association (ALA) tirait la sonnette d’alarme en début d’année concernant la censure d’ouvrages en milieu scolaire (4 240 en 2023, un record comparé aux années précédentes), certains bibliothécaires britanniques commencent à être confrontés aux mêmes situations.
53 d’entre eux ont décidé de participer à une étude de six mois menée par l’Index on Censorship, une organisation majeure de défense de la liberté d’expression à l’international, avec le concours des associations Library and Information Professionnals (Cilip) et The School Library Association. Dans l’échantillon, 28 participants affirment avoir subi des pressions pour faire retirer des livres de leurs rayons, principalement émises par des parents d’élèves. Dans 56% des cas, ces demandes ont abouti à un retrait des ouvrages en question.
Les livres queer ciblés en priorité
Ceux-ci traitent en grande majorité de thématiques LGBTQI+, à l’instar de This Book Is Gay de Juno Dawson (Hot Key Books, 2014) et Julián est une sirène de Jessica Love (École des loisirs, 2020, trad. Sylvie Goyon). On retrouve également certains mangas accusés de dépeindre trop graphiquement la violence et des titres comme Hearstopper d’Alice Oseman (Hachette Romans, 2019, trad. Valérie Drouet), qui abordent des sujets « lourds » à l’instar de l’homophobie et l’automutilation.
Ces conflits ont un impact psychologique chez les bibliothécaires interrogés, qui s’expriment anonymement pour la plupart : 89% font état d’inquiétudes, 30%, de véritable anxiété à l’idée de recevoir de nouvelles plaintes.
Des pressions religieuses
L’étude, qui accompagne ses données chiffrées de récits, est également accompagnée de témoignages relatant des intimidations concrètes issues de communautés religieuses. Un bibliothécaire travaillant dans une école catholique y explique qu’il s’est trouvé au cœur d’une polémique après avoir programmé une rencontre avec l’auteur James Green dans l’établissement. Amplifiée par internet, elle a abouti sur l’annulation de l’évènement.
« Je doute qu’il s’agisse d’un nouveau phénomène, il existe probablement depuis l’existence des bibliothèques scolaires », commente Alison Tarrant, présidente de la School Library Association, dans l’étude. Elle reconnaît néanmoins que l’augmentation des cas appelle à la vigilance, et à une forme de mobilisation dans certains cas. Quelques bibliothécaires britanniques s’appliquent notamment à proposer dans leurs rayons des ouvrages circulant sur les listes américaines de livres interdits dans un cadre scolaire. Comme le souligne une enquêtée : « Nous savons que les enfants sont plus à même de lire des histoires où les personnages et les situations racontées se rapprochent d’eux. »