La question se posait. Serait-elle la femme d'un seul livre, Le grand marin (L'Olivier, 2016, trop de prix littéraires pour que l'espace alloué à cette recension permette de les citer tous, près de 220 000 exemplaires vendus en poche et grand format, onze traductions, une adaptation en cours pour le grand écran) ou ce livre était-il la bande-annonce d'une œuvre à venir ? Après la sidération de ce coup d'essai, Catherine Poulain serait-elle mieux qu'un phénomène éditorial, un écrivain ? Ce coup d'essai et de maître en appelait-il nécessairement d'autres ?
Si les lecteurs avisés du Grand marin se doutaient qu'il serait surprenant d'en rester là, dès les premières pages, empreintes d'un sourd lyrisme, de ce Cœur blanc, chacun sera rassuré. « - Peut-être que je ne sais pas pourquoi je suis là. - On aime bien t'avoir à nos côtés. Tu es courageuse. Tu as le cœur blanc. Dieu voit que tu as le cœur blanc. - Le cœur blanc ? - Le cœur pur. - Rosalinde ne répond pas. » Rosalinde a les cheveux rouges, elle vient de loin, l'Allemagne, et pourtant jeune encore est déjà un peu revenue de tout. Elle va sans trop bien savoir vers où, louant de village en village, de vallée en vallée, sa force, ses bras, quand vient l'heure des abricots, de l'olive, des vendanges... Vagabonde céleste réfugiée dans un vieux combo VW qui la protège aussi imparfaitement du froid que du désir des hommes et de la rigueur de la nuit, Rosalinde se réfugie dans les cafés, l'alcool et plus sûrement encore ses rêves et quelques chers souvenirs. Dans ce village de Provence où l'été lance des dagues de feu, auprès d'Ahmed, du Gitan, d'Acacio, de Karim ou Salim, la saisonnière a rendez-vous avec l'amitié d'une autre femme d'abord, mais aussi avec la violence, l'oubli de soi et son destin.
Ce qui fait la force première de ce Cœur blanc, c'est d'abord comment Catherine Poulain parvient à y « documenter » le réel tout en l'exacerbant. La force de sa langue en est l'outil premier. Bien sûr, on songe avec sa Rosalinde à Sandrine Bonnaire, la routarde épuisée du beau film d'Agnès Varda, Sans toit ni loi, mais il y a dans ces pages quelque chose peut-être d'encore plus incarné, plus ample, et tout aussi tragique. Ce que Poulain peint aussi - et ce dans une dimension fondamentalement politique autant que poétique -, c'est la France qui se meurt, celle des territoires oubliés, des hommes (et des femmes) en transit, en exil, qui la traversent ; la fin du rêve édénique de la ruralité. Lorsque tout a disparu, que reste-t-il hormis parfois un texte, des pages échappées de la mort ? Le ciel qui flamboie, des présages, des scènes initiales qui se rejouent à jamais, le froid, la nuit, la peur. La solitude d'un cœur blanc.
Le cœur blanc
L’Olivier
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 18,50 euros ; 256 p.
ISBN: 978-2-8236-1359-9