« Écrire, lire avec force, oui écrire, lire avec persévérance », telle est la philosophie que Sándor Márai a respectée tout au long de sa vie. Grâce à Albin Michel, on découvre avec enthousiasme l'ampleur de son œuvre, longtemps oubliée. Outre ses romans, il croque parfaitement sa réalité dans sa « seule planche de salut », son journal.
Époustouflantes, Les années hongroises (publiées en 2019) plongeaient en pleine guerre, alors que cet homme s'accrochait aux infimes beautés de l'existence, tout en observant scrupuleusement ses congénères. Il pense comme Dostoïevski, « que les hommes ont besoin d'être différents, les uns des autres, de haïr, d'aimer et de se consumer ». Ce second volume (1949 à 1967) nous décrit un exil non choisi. Les temps sont de plus en plus durs dans son pays, et c'est avec regret que Márai et sa famille s'arrachent à lui. « Toute émigration se compose de tous les exilés anonymes qui souffrent. » L'écrivain s'inscrit dans cette longue lignée. « Quand je mourrai, peut-être que la Hongrie et les Hongrois ne seront plus qu'un songe pour moi, un rêve incompréhensible et singulier, à la fois excitant et douloureux. »
La perte est incommensurable, même si sa nouvelle terre d'accueil, l'Italie, s'avère plutôt douce. Sándor Márai s'interroge dès lors sur cette condition d'apatride, si courante en cette ère d'après-guerre. « Mais y a-t-il encore une patrie, où que ce soit pour quiconque ? Un monde jadis composé de patries se disloque. » Il se résout finalement à croire que « nous avons deux patries. L'une est le pays lui-même, la nation. Pays perdu en ce qui me concerne. Mais il existe une autre patrie, celle de l'homme, le monde ».
Révolte nécessaire
Aussi la cultive-t-il à travers ses nombreuses lectures de Stendhal, Maeterlinck, Dostoïevski, Gide ou Churchill. « L'Odyssée ce n'est pas le récit d'un poète, mais celui de l'humanité. Cette histoire appartient à la vie même. » La sienne est principalement centrée sur sa femme L., leur fils adoptif Jonas qui lui « procure beaucoup de bonheur » et l'écriture. Tournée vers le monde, elle semble avant-gardiste quant aux évolutions politiques et sociales. Il y a comme un air de Zweig et son Monde d'hier dans ces lignes d'une singulière lucidité. Y compris quand Márai et les siens doivent s'exiler de l'autre côté de l'Atlantique. « Si aucun homme ou groupe n'est prêt à se révolter contre le système, alors l'homme n'aura plus de raison d'être. » Il cherche la sienne dans cette Amérique, qui fait pourtant rêver tant de gens. « Je ne suis pas doloriste, mais la douleur et l'échec, il faut les accueillir sans se révolter. » Ainsi, il s'accroche à sa plume prolifique et magnifique.
Dans sa postface, le maître de conférences András Kányádi note que « dans l'exil de la maturité, le diariste prend son envol, tandis que le romancier bat de l'aile ». Les années filent et ne deviennent guère plus faciles. Mi-nostalgique, mi-lumineux, Márai déclare : « J'ai plus de cinquante ans,je suis épuisé, je n'ai ni argent ni place dans le monde », mais il tempère : « j'observe le vieillissement sur moi et en moi comme si c'était une aventure. »
Journal. Les années d'exil 1949-1967 Traduit du hongrois par Catherine Fay
Albin Michel
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 25 € ; 624 p.
ISBN: 9782226438171