C'est un bref séjour à Lisbonne, à l'invitation d'un festival de bande dessinée qui, il y a cinq ans, a déclenché chez Cyril Pedrosa l'envie d'un retour aux origines enfouies de sa famille. Son grand-père a quitté pour toujours en 1936 le Portugal pour la France. Lui-même ne s'y est rendu, enfant, qu'une seule fois dont il n'a gardé qu'un très vague souvenir. Dans son album ambitieux et foisonnant, l'auteur du remarqué Trois ombres (Delcourt, 2007) restitue un Portugal total, celui qu'il voit et rêve simultanément, mais aussi celui qu'il voit persister dans le psychisme de ceux qui croient s'en être éloignés tout en continuant à le porter en eux, souvent à leur insu.
Assumant la dimension autobiographique de l'entreprise, Cyril Pedrosa s'est pourtant choisi, pour plus de liberté narrative, un double de papier. C'est donc un certain Simon qui, flottant, insatisfait de ses premiers travaux en bande dessinée, incapable de s'engager dans sa vie personnelle, tente de reconquérir une identité refoulée. Autour du séjour nodal à Lisbonne s'agrègent des réminiscences de l'enfance et les impasses de sa vie de couple, jusqu'à ce que Simon trouve dans la représentation graphique de sa quête des sources la possibilité d'une autoanalyse, ou tout au moins d'un exutoire.
Le récit se déploie au Portugal, où des cousins retrouvés ont prêté pour plusieurs mois à Cyril-Simon la maison qui avait appartenu à son grand-père soixante-dix ans plus tôt, mais aussi en Bourgogne, où une partie de sa famille se retrouve pour un mariage. D'un lieu à l'autre, d'un état d'esprit à l'autre, Cyril Pedrosa joue sur le style, les formes et les couleurs. Il procède par superpositions, donnant à son album une profondeur et une acuité rares.