C'est une histoire qui a passionné un temps l'Angleterre, le Japon et même l'ensemble de la presse internationale. Un temps - c'est-à-dire comme toujours en pareil cas jusqu'à ce qu'une autre histoire criminelle ne vienne lui succéder. La disparition durant l'été 2000, à Tokyo, d'une jeune anglaise de 21 ans, blonde, plutôt jolie et futée à la fois, nommée Lucie Blackman. Elle y travaillait depuis quelques mois comme hôtesse de bar dans le quartier réputé plutôt « chaud » de Roppongi. Précisons tout de suite que cette profession au Japon ne recouvre pas ce que peut-être l'imaginaire occidental lui prête. Il s'agit seulement d'accueillir des messieurs, souvent solitaires, de leur faire la conversation et évidemment de les inciter à consommer le plus possible, d'accepter aussi parfois un dîner ou une sortie où il ne saurait normalement être question de prostitution.

Justement, ce jour-là, le 1^er juillet 2000, Lucie avait accepté une promenade avec un homme d'apparence très riche rencontré dans son bar quelques jours auparavant. Il lui avait promis pour gage de sa compagnie, des bords de mer et surtout de lui offrir un téléphone portable ; ce qui l'enchantait tout particulièrement car lui permettrait de joindre plus facilement sa famille anglaise qui lui manquait cruellement. Elle passa dans l'après-midi un appel à sa meilleure amie, hôtesse comme elle, pour lui dire qu'elle rentrait et serait à leur appartement commun une heure plus tard... et plus personne ne la revit jamais. L'affaire fit grand bruit donc, allant jusqu'à être évoquée directement par les premiers ministres des deux pays concernés, jusqu'à la révélation quelques mois après du tragique sort de la jeune fille.

Alors en poste à Tokyo, le journaliste Richard Lloyd Parry, lui, n'a jamais pu l'oublier. Si l'on peut penser que la littérature est aussi une question d'obsession à épuiser, alors le livre qu'il consacre à cette affaire, Dévorer les ténèbres, loin de n'être qu'un récit factuel, est comme l'a écrit le romancier David Peace, un vrai livre littéraire. Lloyd Parry s'y livre tout entier à une descente aux enfers dans un pays où la part d'ombre finit par tout dévorer. On y apprend plus sur la société japonaise, mais aussi anglaise, que dans n'importe quel manuel de géopolitique.