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Rentrée littéraire 2025 : un domaine étranger qui fait forte impression

Natasha Brown sort Les universalistes chez Grasset le 3 septembre. - Photo Alice Zoo

Rentrée littéraire 2025 : un domaine étranger qui fait forte impression

Livres Hebdo vous propose une analyse thématique et géographique des 140 romans étrangers de la rentrée littéraire 2025.

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Par Souen Léger
Créé le 01.07.2025 à 17h00

Un monde qui s'interroge, se souvient, se réinvente, aussi. C'est ce dont nous parlent nombre de romans traduits de cette rentrée d'automne, dévoilant une intensité en résonance avec les tourments de l'époque. De fortes impressions laissées tant par des voix nouvelles, avec une vingtaine de premiers romans, que par des voix plus familières.

Parmi celles-ci, il y en aura pour tous les goûts, du retour de la star des lettres islandaises Auður Ava Ólafsdóttir, à celui de l'Écossais Andrew O'Hagan, en passant par l'Espagnol Javier Cercas, ou le Suédois Jonas Hassen Khemiri (Prix Médicis étranger 2021), de nouveau chez Actes Sud avec Les sœurs (trad. Marianne Ségol-Samoy). Sans oublier les grands noms de la scène américaine, à l'instar de Joyce Maynard ou Paul Harding, de retour dix ans après son dernier roman avec Cet autre Éden (trad. Paul Matthieu, Buchet-Chastel) qui relate la dernière année d'une communauté insulaire fondée en 1785 au large du Maine par un ancien esclave et sa compagne irlandaise.

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Jonathan Coe sort Les preuves de mon innocence chez Gallimard le 18 septembre.- Photo FRANCESCA MANTOVANI

Visions américaines

Toujours en provenance d'outre- Atlantique, Jesmyn Ward est de retour chez Belfond avec Nous serons tempête (trad. Charles Recoursé), un roman sur l'horreur de l'esclavage. Lauréat du prix Pulitzer de la fiction 2025, Percival Everett réinvente Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain du point de vue de l'esclave Jim, devenu James (trad. Anne-Laure Tissut, L'Olivier). L'an dernier, ce même prix avait été décerné à Jayne Anne Phillips pour Les sentinelles, un texte sur une Amérique divisée par la guerre civile, à paraître aux éditions Phébus (trad. Marc Amfreville).

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Natsuki Ikezawa sort Terre Tranquille chez Atelier Akatombo le 2 septembre.- Photo NAOYA HATAKEYAMA

Couronnée du prestigieux Women's Prize en 2024 pour Dans la nuit solitaire (trad. Johan-Frédérik Hel Guedj, Autrement), V. V. Ganeshananthan suit, elle, une jeune femme rêvant de devenir médecin pendant la guerre civile au Sri Lanka. Un conflit qui est aussi au cœur de Salamalecs d'Antonythasan Jesuthasan (trad. Léticia Ibanez, Zulma), lequel retrace le parcours d'un jeune garçon enrôlé par une milice tamoule. 

Une bouffée d'air frais et de comédie s'invite dans la rentrée de Calmann- Lévy grâce au Compromis de Long Island (trad. Diniz Galhos) de Taffy Brodesser-Akner, où elle brosse le portrait d'une Amérique aussi désopilante que déchirante à travers l'histoire d'une famille juive américaine. Un élan d'optimisme traverse par ailleurs Les vulnérables (trad. Mathilde Bach, Stock), neuvième roman de Sigrid Nunez dans lequel une écrivaine s'installe dans l'appartement d'une amie pour s'occuper de son perroquet. En cours de traduction dans 18 pays, le premier roman de Rita Bullwinkel, Combats de filles (trad. Hélène Cohen, La Croisée), noue la tension sportive aux portraits de boxeuses dont les vies passées s'invitent entre les cordes.

Guerres présentes et passées

Comme en littérature francophone, l'exploration de la mémoire est au cœur de nombreux romans étrangers, tournant notamment nos regards vers les moments de bascule qui conduisent aux guerres. Chez Métailié, Raphaela Edelbauer signe Les incommensurables (trad. Carole Fily), une plongée au cœur de la ville de Vienne le 31 juillet 1914, trente-six heures avant que la guerre débute. Au Cherche Midi, à partir de documents inédits, Erik Larson raconte dans Un rêve de feu (trad. Hubert Tézenas) cinq mois dans l'histoire des États-Unis, depuis l'élection de Lincoln à la présidence jusqu'au début de la guerre de Sécession. 

C'est dans son histoire familiale que puise le journaliste du Wall Street Journal Yaroslav Trofimov pour son premier roman, Ce pays qui n'aimait pas l'amour (trad. Jean Esch, Istya & Cie), une histoire d'amour en Ukraine dans les années 1930. Aux éditions Noir sur Blanc, Sergueï Lebedev scrute à travers La dame blanche (trad. Anne-Marie Tatsis-Botton) la vie quotidienne dans le Donbass au moment de l'invasion russe.

En résonance avec la guerre à Gaza, plusieurs romans évoquent la Palestine, à l'instar des Maisons de sel de l'Américano-Palestinienne Hala Alyan (trad. Aline Pacvon, Hachette) qui suit la famille Yacoub au moment du déclenchement de la guerre des Six-Jours. Dans Hamlet le long du mur (trad. Josée Kamoun, Gallimard), l'Anglo-palestinienne Isabella Hammad raconte un retour aux sources sur une terre en tumulte permanent. 

Culture queer

Les combats des minorités au fil des siècles, notamment ceux des peuples autochtones, continuent d'être racontés. Tommy Orange revient ainsi chez Albin Michel avec Les étoiles errantes (trad. Stéphane Roques), déployant, du XIXe siècle à aujourd'hui, l'histoire d'une famille amérindienne. Dans Terre tranquille (trad. Corinne Quentin, Atelier Akatombo), publié au Japon en 2003, Natsuki Ikezawa dépeint la résistance puis la défaite du peuple aïnou via une fresque historique allant de 1870 à l'époque contemporaine. 

Grande plume de la scène argentine, Gabriela CabezÓn Camara se penche quant à elle, avec Les griffes de la forêt (trad. Guillaume Contré, Grasset), sur l'histoire d'Antonio de Erauso, au XVIIe siècle. Celui-ci, sous la forme d'une lettre à sa tante, relate son enfance d'aristocrate né dans un corps de femme et quittant l'Espagne pour mener une carrière militaire aux Amériques. 

L'identité de genre, et plus largement la culture queer, se normalise comme cadre de réflexion et d'action. Écrit en vers et en prose, Couplets. Une histoire d'amour, de Maggie Millner, traduit par la romancière Julia Kerninon (Les escales), est à la fois une histoire d'amour entre deux femmes et une réflexion sur l'identité et la liberté. Premier roman d'Andrea Lawlor, Paul prend la forme d'une fille mortelle (trad. Laure Jouanneau-Lopez, La Croisée) offre une réécriture punk du mythique Orlando de Virginia Woolf. Dans Les oiseaux sous la glace (trad. Stéphanie Lux, Le Quartanier), l'Autrichienne Kaska Bryla décrit de nombreuses relations amoureuses queer, mais aussi la rébellion et l'idéalisme adolescents, le tout en convoquant les codes du roman à suspense et du fantastique.

Entre rêve et réalités

Une touche étrange qui traverse cette rentrée en plusieurs endroits. Aux forges de Vulcain, Model Home de Rivers Solomon (trad. Francis Guévremont) livre une approche intime du racisme aux États-Unis en renouvelant les codes de l'horreur. Robert Laffont accueille par ailleurs le premier roman de Phillip B. Williams, Chez nous (trad. Charles Recoursé), une épopée située au XIXe siècle dans une ville imaginaire de Louisiane qui est empreinte de réalisme magique et de spiritualité vaudoue. Pour sa première rentrée littéraire, la maison Les Léonides publie Elaine Vilar Madruga, l'une des grandes voix émergentes de la littérature sud-américaine, avec Le ventre de la jungle, un conte gothique sur le corps des femmes, leurs souffrances et leur rage.

Chez Picquier, la rentrée se joue à mi-chemin entre rêve et réalité avec la suite du roman phénomène coréen Le Grand Magasin des rêves de Mi-ye Lee et Quand dansent les oiseaux de Kiyoko Murata, qui offre un dialogue entre d'anciennes plongeuses sous-marines, sur une petite île isolée du Japon. 

Par ailleurs, alors que la crise climatique bouleverse nos vies, ses manifestations s'inscrivent en toile de fond de plusieurs romans. Publié par Métailié depuis 2004, Bernardo Carvalho signe avec Les remplaçants (trad. Elisabeth Monteiro Rodrigues) une réflexion sur le Brésil de la deuxième moitié du XXe siècle, mêlant les questions écologiques, la quête de richesse sans limites, et l'histoire d'un père et de son fils. Dans Anima. une pastorale sauvage (trad. Morgane Saysana), Kapka Kassabova accompagne des bergers itinérants, questionnant notre rapport au vivant. C'est aussi notre relation au monde naturel qu'explore la poétesse écossaise Kathleen Jamie dans Cairn (La Baconnière).

So British... and Irish

Les lettres écossaises, irlandaises et britanniques sont d'ailleurs très bien représentées en cette rentrée. L'Écossais Malachy Tallack revient avec un second roman, Les hommes de Shetland (trad. Anne Pouzargues, Buchet-Chastel), dont le protagoniste, Jack, a longtemps rêvé de chanter sans oser franchir le pas. Petite originalité : le texte est ponctué des brouillons des chansons composées par Jack, également interprétées par l'auteur dans un album accessible via un QR code imprimé dans le livre. 

Chez Grasset, la jeune romancière Natasha Brown livre elle aussi un second roman, Les universalistes (trad. Marguerite Capelle) qui explore le pouvoir du langage et questionne notre vigilance face à l'information, sur fond d'affrontements autour de la pensée dite « woke ». Le traitement de l'information est aussi au cœur du nouveau Jonathan Coe, Les preuves de mon innocence (trad. Marguerite Capelle, Gallimard), une satire du polar à l'anglaise qui dénonce la montée des extrêmes. 

Remarqué pour Ironopolis, Glen James Brown revient avec L'histoire de Mother Naked (trad. Claire Charrier, éd. du Typhon) où il sonde l'injustice sous la forme d'un western moyenâgeux. Rosalind Brown, une autre jeune voix britannique, fait son apparition chez Plon avec Digressions (trad. Laurence Kiefé). Un premier roman qui, à la manière de Virginia Woolf dans Une chambre à soi, revisite l'écriture du quotidien à travers le personnage d'une étudiante à Oxford. 

La littérature irlandaise continue aussi de séduire l'édition française. En témoignent plusieurs traductions dont celle, chez Gallmeister, de Garrett Carr, Le garçon venu de la mer (trad. Pierre Bondil), une saga familiale racontant l'histoire d'une communauté de pêcheurs face à la modernité. Sabine Wespieser publie par ailleurs Pauvre, un récit autobiographique de Katriona O'Sullivan (trad. Simon Baril), quand Stock mise sur le premier livre traduit en français de Mark O'Connell, Sur le fil de la violence, issu de la rencontre entre ce journaliste et le meurtrier Malcolm MacArthur. Un livre qui tente de « saisir la propension humaine au mal », selon The Guardian, à l'instar d'un autre enjeu de cette rentrée, À la table des loups, de l'Américain Adam Rapp (trad. Sabine Porte, Seuil). Une autre exploration de la violence se lit sous la plume de l'autrice israélienne Tehila Hakimi dans 16 parties de chasse (trad. Rosie Pinhas-Delpuech, Denoël).

Voix du Sud

Du côté sud de l'Europe, les plumes espagnoles occupent encore le devant de la scène. Le Seuil publie Je ne te verrai pas mourir (trad. Isabelle Gugnon), d'Antonio Muñoz Molina, sur deux amants qui se retrouvent au soir de leur vie pour une ultime rencontre. Les éditeurs misent aussi sur des primo- romancières telles que Marta Pérez- Carbonell avec Rien de plus illusoire (trad. Isabelle Gugnon, Les Escales), ou encore Rosario Villajos qui suit dans L'éducation physique (trad. Nathalie Serny, Métailié) une autostoppeuse dans l'Espagne des années 1990.

Des voix italiennes sont également à l'honneur. Ilaria Gaspari s'inspire d'un fait divers survenu à Orléans, et traité par Edgar Morin, pour son roman Une rumeur dans le vent (trad. Romane Lafore, Le Bruit du monde) dans lequel une femme voit sa liberté et son magasin attaqués par la calomnie. Avec son premier roman Comme l'oranger amer (trad. Delphine Gachet, HarperCollins), Milena Palminteri retrace le destin de trois femmes entre les années 1920 et 1960, quand Alessandro Barbaglia exhume dans L'invention d'Eva (trad. Jean-Luc Defromont, Liana Levi) la figure de Hedy Lamarr, star d'Hollywood et inventrice du Wifi. Chez Dario Ferrari, traduit pour la première fois en français par Vincent Raynaud avec La récréation est finie (Éditions du sous-sol), un étudiant se lance dans l'étude de l'œuvre de Tito Stella, un terroriste-écrivain des années de plomb.

Voilà pour la carte des destinations, troublantes et fascinantes, de cette rentrée étrangère. Parmi toutes celles-ci, ne reste plus qu'à choisir ses voyages de papier...

Des livres aux écrans

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