Enfin, en 2017, Pascale Kramer a reçu le grand prix suisse de Littérature pour l’ensemble de son œuvre, une dizaine de romans en un peu plus de vingt ans. L’implacable brutalité du réveil paru en 2009 (Mercure de France) et réédité en novembre dernier en poche chez Zoé, Un homme ébranlé (Mercure de France, 2011), Gloria (Flammarion, 2013), Autopsie d’un père (idem, 2016)… Des livres durs et noirs de l’écrivaine suisse installée à Paris depuis des années, qui se confrontent aux tourments d’humains ordinaires. On ne peut pas dire: lisez, ça va vous faire du bien. Et Une famille, sous son sobre titre, ne fait pas exception.
Qu’est-ce que cette famille bourgeoise, installée à Bordeaux dans un appartement avec vue sur la Garonne? Danielle et Olivier, un couple de jeunes retraités, parents de quatre enfants adultes - Romain, 38 ans, le fils aîné de Danielle, né d’un premier mariage, Edouard, Lou et Mathilde -, qui s’apprêtent à être grands-parents pour la quatrième fois. Une famille bien sous tous rapports, gens de devoir et de convictions mais dont l’équilibre est depuis des années fissuré par l’"alcoolisme à mort" de Romain, le fils-frère marginal, "un doux, un paisible, un attendri", détruit par l’addiction, disparu pendant huit ans, retrouvé par hasard dans la rue par son frère, remis sur pied, du moins en apparence, rechutant inlassablement. Une famille laminée par "l’aptitude à vivre si défaillante de ce fils par ailleurs infiniment doué et aimable". Pascale Kramer regarde, à distance mais jamais de façon surplombante, chacun de ses membres se débattre, faire front. Porter ce garçon abîmé à bout de bras, tenter de le sauver de lui-même ou "le laisser à son indolent mais constant désir de mourir". L’alcoolisme de Romain renvoie en miroir au courage de chacun et à l’impuissance de tous à comprendre ces pulsions autodestructrices. La colère muée en triste déception, l’épuisement de la compassion et de l’espoir, les réflexes de protection, et par-dessus tout la solitude des sentiments, l’impartageable sous la carapace de la solidarité familiale. Comme toujours, l’acuité bienveillante mais sans pitié de Pascale Kramer, également auteure de Chronique d’un lieu en partage (L’Atelier, 2017), un récit tiré de son séjour dans un ancien carmel converti en lieu d’accueil pour des égarés, touche terriblement juste, là où c’est trouble, là où ça fait mal. V. R.