Le dernier livre de Metin Arditi tire sa trame de l'expérience directe et intime de son auteur, grand mélomane - l'écrivain suisse préside l'Orchestre de la Suisse romande -, tout en rebattant les cartes de la fiction autour de thèmes et de personnages déjà croisés dans ses six précédents romans publiés chez Actes Sud.
Le personnage principal, le maestro de renommée internationale Alexis Kandilis, est, comme son créateur, né en Turquie, pays qu'il a dû quitter, enfant, pour la Suisse. Comme lui, il a été interne dans un collège pour enfants riches à Genève, l'institut Alderson, décrit dans Loin des bras.
A la fin des années 1990, au faîte de sa carrière, Kandilis, mélange instable d'arrogance et de vulnérabilité, est adulé mais insatisfait. Les interminables rappels, dont un public dévot le gratifie à chacune de ses prestations à la tête des plus grands orchestres symphoniques de la planète, ne suffisent plus à faire taire l'obsédante musique intérieure, Les chants des enfants morts, les déchirants lieder de Mahler qui envahissent de plus en plus souvent son esprit et ravive des douleurs anciennes. Autour de ce compositeur génialement doué mais contrarié - contraint par sa mère Clio de choisir la direction d'orchestre, plus prestigieuse -, gravitent Charlotte, épouse lassée qu'il méprise, Ted, l'agent qui gère un agenda bouclé pour trois saisons, deux amies dont la Pavlina de La fille des Louganis, qui forme avec Tatiana un couple de lesbiennes mûres et marquées par la vie, un mécène sexagénaire et son amant Sacha, un jeune flûtiste russe. Et Lenny, l'ancien camarade de pensionnat qui en sait tant.
Le monde glorieux de Kandilis, fait de cercles codés et cruels, va s'écrouler en quelques mois : une altercation médiatisée avec un musicien, une attaque de panique avant un concert, le décalage des choeurs dans une Neuvième de Beethoven cruciale... Le musicien prodige entame une descente aux enfers, vérifiant, en artisan aussi actif qu'impuissant, que dans le monde de l'art comme ailleurs, la roche Tarpéienne est toujours près du Capitole. Une partition tragique que l'auteur du Turquetto joue avec la maîtrise et le doigté qu'on lui connaît.