Crépuscule à Tokyo. Mangaka récompensé autant au Japon par le Prix culturel Osamu Tezuka qu'aux États-Unis par plusieurs Eisner Awards, Taiyô Matsumoto, semble, avec Tokyo, ces jours-ci, amorcer une rupture thématique avec ses œuvres précédentes. Dans cette série en trois tomes parue au Japon entre 2019 et 2023, il abandonne en effet un univers qui lui est cher, le monde de l'enfance, qu'il représentait avec brio dans Sunny (Kana, 2014-2016), Gogo Monster (Delcourt, 2005) ou encore Amer béton (Tonkam, 1996). Il se consacre cette fois-ci à un personnage d'âge mûr, Shiozawa, un éditeur de manga qui démissionne « pour raisons personnelles », après trente ans passés dans la même maison d'édition tokyoïte. Vivant seul avec son confident, un petit oiseau blanc en cage, il veut « prendre quelques distances avec les mangas ». Bien vite pourtant, cet homme taciturne est rattrapé par sa passion. Involontairement d'abord, quand une ancienne collègue vient lui demander des conseils pour gérer un jeune auteur difficile dont il s'occupait auparavant. Puis volontairement, quand il décide de lancer, en indépendant, une collection de mangas pour lesquels il va solliciter des auteurs qu'il a toujours admirés.
Dans ce récit doux-amer, Matsumoto scrute avec finesse la subtilité des relations humaines et professionnelles. Avec son style graphique unique, entre fragilité et maîtrise, douceur et énergie, il parle d'amour de l'art et de son métier, de création, d'admiration, de précarité et bien sûr de la fuite du temps et du vieillissement, de la lassitude des corps et des esprits. On retrouve aussi certains de ses thèmes de prédilection, notamment la solitude, et des figures qu'il a souvent représentées, comme celle de l'adulte immature - l'ingérable auteur Aoki ou ce père plus préoccupé par ses jeux vidéo que par son ado qui tourne mal. De l'artiste prometteur devenu gardien de nuit à l'assistant consciencieux et à l'éditrice qui se remet en question, Taiyô Matsumoto campe avec une vraie tendresse ses personnages plus vrais que nature, qui évoluent dans un Tokyo dont la beauté pluvieuse est sublimée par ses décors réalistes aux perspectives tordues. À son habitude, Matsumoto atténue la mélancolie du récit avec des moments plus légers, comme ceux qui dévoilent l'entente improbable de deux dessinateurs que tout sépare, réunis par leur désarroi face à la démission de Shiozawa. Sous ses airs naturalistes, Tokyo, ces jours-ci est une déclaration d'amour au manga des plus romantiques.
Tokyo, ces jours-ci, vol. 1
Kana
Traduit du japonais par Thibaud Desbief
Tirage: 5 200 ex.
Prix: 12,95 € ; 220 p.
ISBN: 9782505119890