Livres Hebdo : Cette année, le SLPJ fête ses 40 ans. Pour vous, il s’agit de la 23ᵉ édition consécutive en tant que cerveau des opérations. Comment avez-vous vu le Salon évoluer ?
Sylvie Vassallo : Le Salon de Montreuil a connu une double naissance. D’abord, celle d’un festival littéraire qui prenait la suite de dix ans d’ateliers d’écriture et de lecture, pilotés par Rolande Causse, dans les centres de loisirs de la ville de Montreuil. Très attachée à la littérature jeunesse, l’autrice a contribué au lancement, en 1984, d’une première édition qui avait alors rassemblé plus de 16 000 personnes. Ce fut une première prise de conscience de l’importance de l’édition comme lieu de publication d’une littérature vivante. Et c’est à partir de là qu’une deuxième naissance a eu lieu, avec le désir d’ajouter au festival littéraire une dimension de salon, avec la vente des livres.
« La littérature est un lieu de projection possible »
Celui-ci a ensuite grandi avec la reconnaissance de la littérature jeunesse, à laquelle il a également contribué. D’ailleurs, pour ses 40 ans, nous publions un ouvrage sous la forme d’une fresque retraçant l’évolution de la manifestation et de la littérature jeunesse, avec des témoignages à l’appui. L’histoire de ce salon est aussi une histoire locale puisqu’il y a un véritable enjeu à promouvoir la littérature jeunesse dans une zone géographique où le lectorat n’est pas le plus proche de la lecture.
Aujourd’hui, quel rapport le public, les auteurs, mais aussi les éditeurs entretiennent-ils avec la manifestation ?
Je dirais que l’ensemble des participants a tissé un lien familial avec le salon. Il y a des gens, des auteurs, qui viennent année après année, depuis 40 ans. C’est le cas de Susie Morgenstern, notre Grande Ourse, ou Gilles Bachelet par exemple. Beaucoup disent que le salon est une ruche, une fête autour du livre, y compris ceux qui viennent avec une intention ou une nécessité professionnelle.
Cette année, le Salon a pour thème le « Rêve général ». Qu’est-ce qui vous a inspiré ce motif et comment celui-ci va-t-il se déployer dans les allées du Salon ?
Nous nous sommes aperçus qu’il était difficile, pour les enfants, de vivre dans une société où l’on entend beaucoup parler de guerre, d’urgence climatique. La littérature et la culture expérimentent la même chose, avec des artistes qui tentent d’apporter des lectures sensibles à cette situation. La littérature est justement un lieu de projection possible, qui peut permettre aux enfants de se situer, de gagner en liberté et en compréhension. Le thème du rêve, qui a été amené dans toutes ses acceptions, apporte à cela une connotation utopique dont nous avons besoin. C’est aussi une façon de rappeler que ce salon, au départ, était un rêve qu’il a fallu cultiver tout au long de ces 40 ans, en dépit des contrariétés qu’il a rencontrées, et qui, aujourd’hui, reste un rêve général au sens de collectif.
Quels seront les temps forts de cette édition anniversaire ?
Depuis deux ans, nous travaillons autour de la question du handicap. Cette année, un espace entier du salon sera donc consacré aux publications accessibles avec des livres en braille, en grands caractères et des animateurs pour assurer une médiation spécifique. Nous avons également pensé l’exposition du salon, « Atout sens ! » comme une expérience sensorielle. Une sélection de 20 ouvrages primés au Salon au cours de ces 40 dernières années sera accompagnée d’une bande-son et d’une odeur, toutes deux créées pour que les titres puissent arriver dans toutes les mains. Les œuvres seront d’ailleurs reproduites au format A3 et proposer aux 350 bibliothèques nationales partenaires de l’édition.
« Nous avons réussi à conserver le côté familial, intime et joyeux du salon »
Nous avons également conçu un nouveau temps pour les professionnels avec un Forum international et interprofessionnel. Dans le cadre d’une réflexion avec le groupe jeunesse du Syndicat national de l’édition (SNE), nous avons mis en place des parcours professionnels, lundi 2 décembre, durant lesquels les acteurs de la petite enfance, les responsables d’achats en bibliothèques et bien d’autres pourront rencontrer plusieurs éditeurs.
Toujours côté éditeurs, nous leur avons proposé de mettre en avant un livre de leur catalogue pour constituer un parcours historique de l’édition jeunesse. Enfin, l’exposition 40x40, qui consiste en une commande passée par le département de Seine-Saint-Denis à 40 illustrateurs, sera reproduite à l’ouverture du salon. Les œuvres originales, qui sont également reproduites dans 40 crèches, PMI et centres d’aide à l’enfance du 93, ont été intégrées à la collection d’art contemporain du département.
Comment la manifestation s’est-elle adaptée à l’offre éditoriale toujours plus foisonnante du marché jeunesse ?
Le marché est passé de 5 à 6 000 nouveautés à 18 000 en 40 ans. Il a amené une production, dans sa dimension massive, qui n’est pas toujours indéniablement qualitative. Mais à l’intérieur de cela, il existe une littérature jeunesse en phase avec un monde qui bouge. De notre côté, nous avons réussi, je crois, à conserver le côté familial, intime et joyeux du salon. Nous nous sommes adaptés à la diversité des maisons d’édition et de l’offre éditoriale, en variant nos formats et nos formes d’espaces. Nous avons des scènes de rencontres généralistes, mais aussi l’atelier des livres à soi pour les plus petits, le kiosque jeunesse, la télé du salon ou le site de préconisation Kibookin. Nous avons également créé des comités de lecture au sein de l’équipe. Chaque année, nous lisons près de 4 000 nouveautés, desquelles naissent nos Pépites.
Que pensez-vous de la baisse de la lecture chez les jeunes, résultat de l’étude du CNL sur le rapport des jeunes à la lecture qui conclut, entre autres, qu’un jeune sur cinq dit ne jamais lire.
Ce n’est pas complètement une surprise. Plusieurs études sociologiques observent un recul de la lecture chez les enfants, et plus spécifiquement un recul des grands lecteurs et grandes lectrices. Il y a des éléments récurrents, comme la fracture qui s’opère à l’adolescence. On voit aussi que les écrans prennent une part plus importante dans le quotidien des jeunes alors qu’ils ne développent pas les mêmes capacités et impactent les comportements sociaux et relationnels. Globalement, l’activité-lecture recule dans les temps de loisir. Malgré tout, les jeunes et les enfants disent toujours aimer lire.