Alors que la saison des grands prix d'automne s'ouvre, jamais le prix Vendredi n'est mentionné parmi eux. Ça me rend furieux. Il s'agit de l'unique prix pour un roman francophone à destination des adolescents, remis une semaine avant le Goncourt par un jury de professionnels. Pourquoi ce manque de considération ? Le milieu a tendance à regarder de haut la littérature jeunesse. De petits éditeurs, de petits auteurs, un art mineur par rapport à la « grande littérature ». Des foutaises !
C'est pour que la qualité littéraire de nos auteurs soit davantage reconnue que le prix Vendredi est né en 2017. Nous sommes partis du constat qu'il n'existait aucun prix pour la littérature adolescente. Les prix existants organisés par des salons, des bibliothèques ou des villes n'ont souvent qu'une portée locale. Les éditeurs ont alors souhaité créer un grand prix national, équivalent du Goncourt pour la littérature jeunesse. Sans singer les grands prix mais en en reprenant leurs codes. Quand vous entrez dans une librairie pendant les fêtes pour trouver le cadeau idéal, si vous n'y connaissez rien, vous vous dites qu'en prenant le dernier Goncourt ou Femina, a priori, vous ne vous plantez pas. Mais quand vous n'avez pas d'enfants dans votre entourage et que vous devez choisir dans un point de vente bondé un roman pour un adolescent, vous faites comment, mis à part le conseil du bon libraire ?
Nous voulons aussi montrer à l'international notre création pour les adolescents. Il n'y a pas que les Anglo-saxons ! D'ailleurs parmi nos petites victoires, plusieurs de mes confrères m'ont signalé que, dans les achats de droits, les éditeurs étrangers demandent le dernier prix Vendredi. Les festivals et salons ont adopté ce prix.
Au fil des années, nous avons trouvé des sponsors, des partenariats médias, un restaurant, Le Cinq Codet, notre Drouant à nous, où le jury se réunit pour délibérer. Et à chaque sélection, nous faisons beaucoup de déçus, rançon du succès d'un prix qui commence à trouver sa place.
Si je me mets souvent en colère, c'est en fait à la pédagogie que j'aspire. Le problème réside dans la méconnaissance de cette littérature. Prix Goncourt, Michel Tournier, qui a inspiré le nom de ce prix, disait à propos de Vendredi ou les limbes du Pacifique et de Vendredi ou la vie sauvage : « Fini le charabia. Voici mon vrai style destiné aux enfants de 12 ans. Et tant mieux si ça plaît aux adultes. Le premier Vendredi était un brouillon. Le second est propre. » Quelle meilleure reconnaissance de la littérature adolescente? Je me bats depuis trente ans pour cela et je con-tinuerai ce militantisme nécessaire pour la constitution de nouvelles générations de lecteurs et donc l'avenir de la littérature en général. »