Récit/France 20 juin Valentine del Moral

Le 30 janvier 1969, à l'heure du déjeuner, il faisait à Londres un vrai temps de chien. Froid, pluie, et un résidu de smog dissipé par un vent à recoiffer un hippie. Pourtant, sur le rooftop du siège de leur compagnie, Apple, au 3, Savile Row, Mayfair, La Mecque des tailleurs, les Beatles, Paul, Ringo, George et John, s'installent et commencent à jouer et à chanter, en plein air, sans public ou presque, juste quelques intimes, leurs femmes (Pattie Harrison, Yoko Ono, Maureen Starr, mais pas Linda McCartney, enceinte), et leurs collaborateurs, accompagnés du pianiste Billy Preston, un de leurs complices « d'appoint », comme Eric Clapton.

C'est George Harrison, pourtant réputé cool, qui avait imposé cette idée, après bien des propositions extravagantes. Exténué par toutes ces années marathon de disques et de shows, toutes ces fans hystériques, il était devenu agoraphobe, et avait même refusé que le groupe s'approche du bord de la toiture, afin de saluer les quelques Londoniens, qui, d'en bas, avaient fini par comprendre ce qui se passait, et, à défaut de voir, écoutaient. Quelques petits futés, travaillant alentour, étaient montés sur les toits de leurs propres bureaux, et ont pu assister, de loin, au spectacle. Unique, mythique, culte.

Le réalisateur américain Michael Lindsay-Hogg était en train de tourner Let it be, un film sur les Fab Four, prévu pour sortir au printemps 1970, afin d'accompagner leur nouvel album éponyme. Sauf que rien ne s'est passé comme prévu : le 10 avril 1970, les Quatre Garçons annonçaient leur séparation, et Let it be, leur testament si l'on veut, est sorti après, en mai. Cela faisait longtemps qu'entre eux l'implosion couvait, ce dont témoigne « l'album blanc » de 1968, qui était plus un collage de chansons individuelles que le produit de la créativité d'un groupe.

Ce 30 janvier 1969, c'était donc la dernière fois que les Beatles, qui ne s'étaient plus produits sur scène depuis le 29 août 1966, jouaient ensemble en live et en public (même de happy few), et nul ne le savait, même pas eux. Au début, l'atmosphère est glaciale, dans tous les sens du terme. Les conditions de tournage et d'enregistrement sont plus qu'acrobatiques. Des importuns arrivent : quelques journalistes, et la police, alertée par des riverains que ce « vacarme » indispose. Ce seront les bobbies qui, très courtoisement, mettront fin à la session, après sept morceaux (huit avec un Don't let me down bissé) et un Get back insolent, en guise d'apothéose.

La très éclectique Valentine del Moral raconte cet épisode majeur dans l'histoire de la musique moderne avec érudition, un luxe de détails, un sens certain du suspense, et pas mal d'humour, dans un style assez « rock-critic », comme si elle y avait assisté, et nous avec elle. Tout au long du livre, elle établit des parallèles entre cette « Ascension » des Beatles (« plus populaires que Jésus », avait fanfaronné imprudemment Lennon dans une interview, en mars 1966) et des épisodes des Evangiles concernant le Christ. Un peu tiré par les cheveux parfois, mais original, et il est vrai qu'il est beaucoup question de religion dans les paroles des chansons des Beatles.Let it be, par exemple.

Valentine Del Moral
Et ils montèrent au ciel : le rooftop concert des Beatles
Le Mot et le reste
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 15 euros ; 160 p.
ISBN: 9782361390228

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