« La légende veut qu'on soit transformé en pierre, lorsque l'on voit la vérité. » La femme de Loth ne s'est-elle pas métamorphosée en statue de sel en se retournant sur son passé ? Regardant le nazisme en face, Wolfgang Koeppen ne craint pas de faire les deux.
Méconnu en France, il a marqué son pays natal, l'Allemagne. Ce garçon aventureux, né en 1906, s'est exilé quelques années aux Pays-Bas après un premier roman scandaleux, Un amour malheureux (1934). Après la Seconde Guerre mondiale, il rejoint le Groupe 47 auquel participent Ingeborg Bachmann, Günter Grass, Paul Celan. Dans la postface de l'historien Johann Chapoutot à La mort à Rome, paru en Allemagne en 1954, réédité aujourd'hui par les éditions du Typhon, à Marseille, dans la tradution d'Albin Michel de 1962, on comprend que « c'est la guerre puis la défaite, qui firent de Koeppen un écrivain. Cette génération se débat avec les crimes des pères. »
Tel est le constat glaçant de Siegfried, jeune compositeur torturé qui s'exprime dans une musique enragée. Il porte le poids de la honte de sa famille nazie. Loin de se remettre en question, celle-ci a fui en Italie. « Par leur conception, ils ont torturé d'autres gens, ils sont responsables d'une guerre, ils ont fait du mal, parce qu'ils ont infiniment détruit. »
Cela ne les empêche pas de dormir. Pour l'oncle Judenjahn, un homme pervers et haineux,« un Allemand ne pleure pas : il est plein de dureté germanique ; à l'étranger, il n'oublie pas sa patrie ». Loin d'idéaliser cette patrie, son fils Adolf préfère se tourner vers la religion.
« J'aime Rome parce que j'y suis un étranger. » Dans cette cité en ruine, chacun essaye de se reconstruire. Certains préfèrent l'univers d'hier, d'autres ne savent guère comment se débarrasser d'un passé sanglant. « Le monde appartient à l'épée. Ils avaient invoqué le Reich et accepté pour l'Allemagne l'assassinat, la brutalité, la fumée des cadavres. »
Comment les enfants des bourreaux peuvent-ils avancer ? « Le salut était-il dans le refus, dans la fuite, dans la solitude ? » Il n'y a pas de voie idéale, constate Adolf : « Est-ce que je cherche réellement une patrie ou bien ne me réclamai-je de l'humanité que comme un brouillard où je peux disparaître ? » Koeppen se confronte sans complaisance à ces questions, dans un roman lyrique et psychologique, interrogeant la noirceur d'un héritage historique.
La mort à Rome - Traduit de l'allemand par Armand Pierhal, Maurice Muller-Strauss - Postface Johann Chapoutot
Les éditions du Typhon
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 17 euros ; 248 p.
ISBN: 9782490501069