Contrairement à un cliché qui a la peau dure, Marcel Proust (1871-1922) n'était pas ce doux rêveur solitaire détaché des contingences matérielles que certains ont dépeint. Du moins pas encore, en 1913. Quoique malade, ne vivant que la nuit, ne sortant presque plus, il n'était pas pour autant coupé du monde, ni littéraire ni mondain. Et il avait de nombreux amis, qui lui rendaient compte, de visu ou par lettres. Et quoiqu'en disent ses détracteurs, ce « gosse de riches » avait besoin d'argent : il avait dépensé son héritage en cadeaux somptueux, train de vie jadis luxueux, et placements hasardeux. Il était donc « ruiné », et les 5 000 francs-or qui récompensaient alors le lauréat du prix Goncourt (inauguré en 1903) lui auraient fait du bien.
Il se lance donc en campagne une première fois, en 1913, avecDu côté de chez Swann, paru à compte d'auteur chez Grasset. Mais malgré certains appuis, il échoue. Peu importe, il a pris date, et récidive en 1919, avecA l'ombre des jeunes filles en fleurs, récupéré par la NRF. Et, cette fois, il est victorieux, grâce à des soutiens militants comme celui de Léon Daudet, par 6 voix contre 4 à Dorgelès et sesCroix de bois. D'où un scandale énorme, une cabale patriotique. Ce « vieux » (48 ans) snob « israélite » est traîné dans la boue, aussi bien par les catholiques que par les communistes. Au final, Dorgelès obtiendra le prix Femina, et il se vendra bien plus de « croix » que de « jeunes filles ». Proust, lui, a gagné l'immortalité.
Proust, prix Goncourt
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 19,50 euros ; 272 p.
ISBN: 9782072846786