Le lecteur des Enquêtes de Monsieur Proust, premier roman de Pierre-Yves Leprince paru en 2014, succès critique et de librairie imprévu, récompensé d’un prix par l’Académie française, se réjouit que l’auteur, sans tarder, ait écrit un second volume, ces Nouvelles enquêtes de Monsieur Proust. Second et non point deuxième, semble-t-il, puisque l’écrivain y meurt à la fin, comme dans la vraie vie, le 18 novembre 1922, laissant le narrateur, le jeune Noël Monclair (devenu adulte entre-temps, marié, père de famille, policier puis sous-directeur de la Sûreté), à la fois inconsolable de la mort de son incomparable ami et quasi orphelin une seconde fois. Car, même s’ils ne se voyaient que de façon irrégulière, à cause de la santé chancelante, du caractère compliqué et du considérable ouvrage à l’écriture duquel il avait sacrifié sa vie, il y eut, entre "Monsieur Proust" et "le petit Noël", une relation unique - et non "particulière", même si quelquefois un peu ambiguë -, une complicité rare, fondée sur le respect et la sincérité du jeune prolo vis-à-vis de son très bourgeois ami, leurs fous rires partagés, et, surtout, cette passion commune pour les faits-divers et les énigmes du quotidien. L’un, "détective en chambre", mais résolvant les mystères grâce à la puissance de son intelligence, de ses dons d’observation et de déduction - qualités qu’il léguera au Narrateur de la Recherche -, l’autre limier sur le terrain, où il est les yeux de son mentor.
Une histoire fictive, mais plausible, servie par la connaissance encyclopédique, par Pierre-Yves Leprince, des moindres recoins de la "cathédrale" proustienne, de tous ses personnages, de son style - inimitable mais qu’il parvient toutefois à pasticher, quand il fait causer, intarissable et ondoyant, Proust, "la Shéhérazade occidentale des temps modernes". Le tandem, aidé par le commissaire Jeanfort, ancien condisciple de Proust à Condorcet, qui prendra Noël sous son aile et dans la police, élucide l’affaire Dumouron, l’énigme saphique de la cantatrice recluse, fait arrêter la bande des voleurs de jardins, des sauvageons de l’époque. Et Noël, tout seul, enquête à Venise sur une étrange famille de Murano, et ses bien énigmatiques jumeaux (jumelles ?) dont Proust est tombé amoureux douze ans auparavant. Une plongée, téléguidée par lui, dans ce "temps perdu" dont il a fait la matière même de son œuvre.
C’est drôle et érudit, aussi jubilatoire que le premier volume, et un peu plus mélancolique. Quitte à bousculer la chronologie, le lecteur en redemande. J.-C. P.