Presque un demi-siècle parisien (de 1968 à 2006) sous la forme volatile d'une éphéméride sans dates. Des vignettes, des esquisses, comme autant de jalons sur le chemin d'un homme, ou autant de facettes disparates d'un autoportrait sans cesse en mouvement. Celui du poète Petr Král, retourné en République tchèque mais jamais séparé de la langue française, dans laquelle il a commencé à écrire.
Les Cahiers de Paris n'ont pas été écrits pour être publiés. Le poète a simplement consigné là, au fil des saisons, des scènes, des remarques, des rêves, des lectures. Sans prétention, sans intention : il ne s'agit que d'"inscrire simplement ses notations, en marge du livre inépuisable et illimité de ce qui est, dans le souci tout élémentaire de signaler son existence", dit celui qui est "sans cesse occupé à observer le monde, comme s'il devait s'effondrer si [je] m'arrêtais".
Pas de recueil de poésie donc, mais de la poésie recueillie. Le livre tire sa force de sa lente construction, d'où découle un double portrait : celui de Paris, d'abord, "un Paris supplémentaire dans les glaces qui garnissent les bistros", un Paris d'images tombées des fenêtres et des trains, des virées nocturnes, toujours fugace : "L'Arc révèle le vide de tout Triomphe », écrit-il en 1986, ce qui est une belle métaphore de son activité poétique.
Le journal propose aussi, touche par touche, un autoportrait intime et fragmentaire. On voit le verre vide, le corps de l'amante, la lumière de la salle de bain et la foule des nuits. On entend le silence de l'aube et les cris des trompettes de jazz qui peuplent les soirées. Le ton est volontiers burlesque : "C'est moi, Fantômas, comme nous tous." Mais dans le choix des citations, dans les métaphores, affleurent la solitude de l'émigré, la joie de l'amant, l'angoisse de l'homme âgé - et aussi une inquiétude plus profonde : celle d'une réalité insaisissable, d'une vie jamais plus vivante que dans le rêve, d'une espèce déchue et malgré tout condamnée : "Encore un joyeux moment passé dans un essaim de futurs morts »... Qu'importe : "C'est bien par l'art qu'on rejoint la vie." L'un et l'autre sont là, indubitablement.