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Presse : des SP sur mesure

Le SP en librairie - Service de presse - Service de presse - Photo Olivier Dion

Presse : des SP sur mesure

Bousculés par le déclin de la presse et l'hégémonie des réseaux sociaux, conditionnés par la forte production, les attachés de presse du secteur de l'édition se montrent aujourd'hui plus offensifs et plus créatifs. _ par Isabel Contreras

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Par Isabel Contreras
Créé le 23.08.2019 à 11h24

Les places sont de plus en plus chères. » Le message n'est pas nouveau mais les attachés de presse de l'édition ne cessent de le marteler, rappelant les difficultés auxquelles ils sont régulièrement confrontés pour placer des livres dans les médias. « A la télévision, le nombre d'émissions dédiées à la culture s'affaisse de manière constante depuis des années. Cette rentrée encore, les émissions "Les terriens" de Thierry Ardisson (C8) et "Entrée libre", présenté par Claire Chazal (France 5) ont été déprogrammées », note Alina Gurdiel, attachée de presse indépendante spécialisée dans la littérature. Le déclin de la presse écrite n'aide pas. « En l'espace de quelques années, nous sommes passés de 10 à 6 journalistes permanents au Figaro littéraire », confirme le journaliste Mohammed Aïssaoui. Surtout, l'arrivée des réseaux sociaux dans les années 2010 a changé la donne en matière de prescription. Les blogueurs devenus booktubeurs, instagrammeurs ou tout simplement influenceurs sont venus grossir le fichier de contacts des attachés de presse. « Même si nous les différencions des journalistes littéraires, ils sont devenus incontournables. Aujourd'hui, au grand prix des Blogueurs littéraires, on croise Véronique Olmi, Delphine de Vigan et de nombreux éditeurs. En seulement deux éditions, c'est devenu un rendez-vous de la profession », observe Charlotte Rousseau, responsable du service de presse de JC Lattès.

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Rude concurrence

Ce nouveau paysage médiatique s'inscrit dans un contexte de dégradation des ventes, ce qui rend la concurrence encore plus rude. Les attachés de presse de l'édition, majoritairement des femmes, se doivent d'être plus offensifs. « Nous défendons une partie de la production à fort potentiel médiatique et commercial. Nous réalisons des plans sur mesure pour atteindre une poignée des médias à forte capacité de rassemblement. Dans un milieu aussi conservateur que le milieu littéraire, le discours se décomplexe autour des priorités commerciales », remarque Laurent Payet, à la tête de l'agence LP Conseils. « C'est mathématiquement impossible de défendre toute la production », confirme Alina Gurdiel.

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Chaque mois de septembre, chez Bragelonne, l'attachée de presse Stéphanie Moennard définit avec le directeur commercial du groupe, Raoul Tixier, la trentaine de livres qu'elle défendra pendant l'année. La production annuelle est d'environ 400 ouvrages. « Tous les titres n'ont pas vocation à se retrouver dans les médias et les blogs. Notamment ceux qui appartiennent à des séries », explique Stéphanie Moennard. La promotion de certains titres relève plus d'un travail de relations libraires pour certains romans ou de campagnes d'affichage et de publicité dans la presse, pour certains blockbusters en série.« Nous ne défendons plus en presse des phénomènes comme The walking dead, poursuit Evelyne Colas, directrice des relations presse et publiques de Delcourt. Nous ciblons nos enjeux et essayons de les faire lire très en amont au journaliste. De cette manière, il s'empare rapidement du sujet. » Chez Delcourt, les premières épreuves envoyées non seulement ne sont pas corrigées mais pas définitives sur le contenu. Elles le sont pourtant sur la forme. « En BD, le format de l'objet doit être en adéquation avec l'œuvre, nous soignons beaucoup cet aspect », insiste Evelyne Colas. « Nous pouvons parfois être sollicités au stade du manuscrit », explique Mohammed Aïssaouï. Le journaliste du Figaro littéraire a déjà été consulté, avant tout travail éditorial, par L'Iconoclaste pour le premier roman Jean-Baptiste Andrea (Ma reine, 2017) ou par Stock pour le dernier titre de Diane Mazloum (L'âge d'or, 2 018). Une façon de créer une relation privilégiée aux textes avec ce tout premier lecteur extérieur.

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Le poche sur épreuves

Les envois d'épreuves, étapes traditionnelles pour l'édition de textes grand format, se sont « professionnalisés » depuis trois ans chez Delcourt comme chez beaucoup d'éditeurs de BD et même de manga. Un mouvement similaire est observé chez les éditeurs de poche, notamment les marques d'Univers Poche, 10/18 et Pocket, mais aussi Folio, chez Gallimard, qui fait usage de cet outil pour ses inédits. Les épreuves non corrigées sont ensuite accompagnées de dossiers de presse de plus en plus sophistiqués. « L'argumentaire est mieux travaillé, nous réfléchissons sur les angles à aborder. Le support de création graphique est très important, nous faisons appel à des maquettistes et sommes parfois amenés à recruter des personnes qui détiennent ce type de compétences », explique Caroline Obringer, responsable des relations médias de Leduc.s. « Les newsletters peuvent être thématiques, habillées de chouettes visuels et accompagnées de messages percutants », ajoute Camille Paulian de la jeune agence Trames. Cette attachée de presse a récemment suivi des formations sur In Design et les réseaux sociaux.

Le soin apporté à la plaquette d'un livre peut s'apparenter à une maquette de presse. Pour la parution du troisième Joyeux journal de Mathou, coédité par Leduc.s et First, le dossier de presse présentait un entretien de l'auteure, effectué par la journaliste indépendante et blogueuse Adèle Bréau. L'éditeur a rémunéré la journaliste. Mais ce n'est pas toujours le cas pour d'autres collaborations, comme la rédaction de blurbs, ces citations élogieuses qui figurent sur le bandeau des livres. Les journalistes sont là aussi sollicités par les attachés de presse. « Le contact est régulier, les liens qu'on tisse sont privilégiés. La force du réseau reste le cœur de notre métier », souligne Camille Paulian.

Evénements

« Le rapport à l'humain est indispensable, il faut défendre personnellement le livre auprès du journaliste et du libraire pour obtenir des résultats. Il faut surtout être endurant, l'expérience nous dit qu'un livre peut commencer à se vendre plusieurs mois après sa sortie », indique Charlotte Rousseau. « Il faut aussi sortir des sentiers battus en essayant d'introduire l'auteur et son livre dans des lieux culturels autres que la librairie », défend Alina Gurdiel, ancienne attachée de presse chez Grasset, communicante et éditrice chez Stock. Parmi les derniers événements qu'elle a organisés, elle cite un nouveau format de débats entre écrivains au palais de Tokyo et une soirée au cinéma parisien Le Louxor en hommage à Hedy Lamarr avec la présence de l'actrice Anna Mouglalis.

L'éditeur pratique Leduc.s voit grand pour ses événements créés sur mesure. « A l'occasion de la parution du témoignage d'Elie Buzyn, nous avons organisé un événement prestige avec des personnalités du monde de la culture mais aussi des rencontres avec des scolaires », explique Caroline Obringer. Parmi ses missions figurent les partenariats avec les influenceurs et la presse pour l'organisation de manifestations ouvertes au grand public. Mais aussi la communication de jeux concours. Elle est donc amenée à travailleren liaison avec le service marketing. « Nous sommes complémentaires », déclare-t-elle.

Complémentarité

Pour Charlotte Rousseau, spécialisée en littérature, la complémentarité se joue aussi, et de manière plus évidente, sur le plan éditorial : « Les éditeurs quittent leur bureau pour déjeuner avec les journalistes et se déplacent plus en librairie. » Un maillon de la chaîne est aussi devenu essentiel en matière de promotion : l'auteur. S'il détient « un bon profil médiatique », notamment une communauté sur les réseaux sociaux, son plan de lancement est réfléchi en étroite collaboration entre le service de presse, le marketing et le commercial. « Nous suivons la communication de l'auteur, ses messages sur les réseaux sociaux. En échange, nous apportons le support matériel comme les caméras pour une vidéo mais aussi des idées d'événements. Nous pouvons apporter des billes ou des conseils pour leurs discours. Nous devenons des coachs », constate Caroline Obringer. « Les attachés de presse sont devenus des animateurs du livre », conclut Mohammed Aïssaoui. Travaillent-ils plus ? Oui, diront les uns. Mieux, diront les autres. 

Trois questions à Brigitte Chapelain : « L'économie de l'attention reconfigure la prescription littéraire »

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Maître de conférences honoraire en sciences de l'information et de la communication à Villetaneuse (Paris- 13) et membre du bureau de la revue de la communication du CNRS Hermès, Brigitte Chapelain, qui a cosigné en septembre 2018, avec Sylvie Ducas, Prescription culturelle : avatars et métamorphoses (Presses de l'Enssib), analyse les nouvelles formes de prescriptions dans le domaine du livre.

Aujourd'hui, les services de presse des maisons d'édition ne s'adressent plus uniquement aux journalistes. Quels sont les acteurs de la prescription littéraire ?

Le numérique a reconfiguré la prescription littéraire sans se substituer aux instances traditionnelles comme la presse papier et surtout la radio, la télévision laissant de moins en moins de place à la littérature. Cette reconfiguration implique une réorganisation communicationnelle, de nouvelles écritures et des accès inédits à l'information littéraire.

Le lecteur internaute amateur blogueur, booktuber ou bookstagrammeur, s'affranchissant des médiations conventionnelles en matière de littérature, apparaît comme une nouvelle figure d'autorité : il adopte les codes des médiatisations numériques et développe des pratiques communautaires.

Comment s'organise cette prescription ?

L'économie de l'attention oriente les stratégies développées, en particulier sur Internet, pour susciter l'intérêt, l'adhésion et la décision de l'acquisition d'un livre. Il s'agit de transformer l'attention captée en intention d'achat.

Depuis leur apparition en 2007, les blogs de lecture majoritairement tenus par des femmes jeunes adultes ont considérablement évolué dans leur forme et leurs pratiques communautaires (challenges, book clubs et swaps) : veille de l'actualité de la blogosphère littéraire, gestion des outils sociaux et du contenu des posts, maintien de l'interactivité avec les abonnés, organisation d'événements, de rencontres et de prix ressemblent aux tâches d'un community manager « littéraire ».

Ces nouveaux prescripteurs ont-ils les mêmes objectifs que ceux issus des médias classiques ?

Ils partagent en gros les mêmes objectifs d'information sur la littérature et de recommandation sur la lecture. Mais les prescripteurs des médias classiques sont des experts ou des professionnels du journalisme culturel. Les amateurs, eux, passent de stratégies d'incitation et de recommandation à celles de la construction et de la réputation de leurs propres marques (personal branding). Les enjeux culturels restent liés à des enjeux économiques.

La prescription littéraire faite par les experts se trouve concurrencée par celle d'amateurs qui eux-mêmes deviennent des références dans le domaine, se créent une réputation et sont reconnus comme de nouveaux experts.

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