16 août > Roman France > Cloé Korman

Un beau prince s’échoue sur les rives d’une île. La jeune fille qui le découvre n’a jamais vu d’homme auparavant, hormis un monstre indigène et un vieux magicien, son propre père, "qu’une opinion vigoureusement partagée entre les fées des contes et les médecins autrichiens lui interdit de prendre pour mari". Emerveillée, elle s’éprend du naufragé. On a reconnu La tempête de Shakespeare, que montent les animatrices d’une colonie de vacances sous l’égide d’un jeune homme, un peu plus âgé qu’elles, qui dirige un théâtre associatif en haut du quartier du Panier à Marseille.

La narratrice de Midi de Cloé Korman n’est plus l’interne d’alors devant composer avec des gamins de 10-12 ans pour leur faire jouer la dernière pièce du barde de Stratford. Elle est aujourd’hui médecin et elle-même mère de deux enfants, dont une préadolescente. Sa copine Manu aussi a sa vie. Finis les jobs d’été, on a un vrai métier, une famille, l’été a passé.

Un jour, à l’hôpital, elle reconnaît, malgré son vieillissement prématuré, le metteur en scène marseillais de La tempête d’il y a quinze ans: Dominique Müller. Il est très malade, sur le point de mourir. Tout reflue - les bouilles des juvéniles dramatis personae, leurs caractères, leurs jeux, leurs chamailleries. Un tel était diabétique, tel autre bégayait un peu, il y avait les timides, les turbulents, les coquettes… Il y avait notamment Joséphine, dite Jo, ballottée entre une mère abusive, remariée, et un père dans le BTP, trop pris par les chantiers, et fatalement absent; elle jouait Caliban, le personnage difforme dans le chef-d’œuvre shakespearien, emblème de la sauvagerie domptée comme de la nature arrachée à l’innocence de sa condition par le magicien Prospero, le maître de l’île.

Tout revient à la mémoire de la narratrice, à la mémoire, et à la peau. Soleil vertical, écrasant toute perspective, embrasant les corps, les soumettant à la loi du désir, les marquant à jamais de sa brûlure. Elle avait nagé avec "Dom" et ils s’étaient étreints dans une calanque. Dom l’aima, puis plus. Dom aimerait ensuite Manu, sa meilleure amie. L’amante éconduite essayait de se raisonner: "Je n’imagine pas qu’il y ait quelque chose à faire à part attendre, j’espère peut-être que la versatilité de Dom va se retourner à nouveau en ma faveur." Mais la forfaiture n’est pas toujours là où l’on croit. Trahir est certes tromper, c’est aussi se trahir: abandonner ce en quoi on avait foi. Le théâtre était son rêve, mais Dominique, las de ce "métier de crevard", abdique et négocie un emploi avec le beau-père de Jo. Il se sauve et s’abuse, ne voit pas le sort de cette enfant maltraitée.

La matière du nouveau roman de la lauréate du prix du Livre Inter 2010 pour Les hommes-couleurs (Seuil) est cette lumière crue qui magnifie notre jeunesse pour mieux nous rappeler sa fugacité et, partant, à la responsabilité dans nos choix. Cruel et beau. Et l’on reste comme étourdi par cet éblouissant Midi. Sean J. Rose

 

 

08.06 2018

Livres cités

Auteurs cités

Les dernières
actualités