Dans l'Allemagne vaincue, en juillet 1945, la guerre est finie. Un photographe, le narrateur, dont on ignorera à peu près tout, mis à part ses cauchemars récurrents, se retrouve à Dinslaken, sur les bords du Rhin, où il a suivi les armées alliées. En particulier le colonel Collins, un Gallois, avec qui s'est nouée une forme d'amitié, à la fois parce qu'il est photographe amateur, et parce qu'ensemble, ayant découvert un camp de concentration, ils partagent la haine des Allemands. Avec eux, il y avait McFee, le chauffeur du colonel, dont la mère est juive, démobilisé depuis.
Eux sont encore là, en ces temps de canicule, l'un à s'ennuyer ferme, l'autre à gérer la situation. Quand chez le photographe, jaillit une idée saugrenue : « Je voudrais les [les Allemands] photographier devant chez eux. Je ne sais pas pourquoi. » L'officier ne pose pas de questions, fournit à son ami une voiture « civile » et un chauffeur, le tout jeune O'Leary (dont on ne saura rien de l'histoire, ni même le prénom). Débarqué trop tard pour prendre part aux combats, il en ressent une certaine culpabilité. Lui, son truc, c'était les transmissions, le télégraphe. Et le voici qui sillonne les petites routes allemandes en compagnie d'un taiseux, qui tente de tirer le portrait des rares autochtones qu'ils rencontrent. En général, ça se passe bien. L'uniforme et le fusil anglais d'O'Leary impressionnent. Les modèles se montrent coopératifs. Ils n'ont pas vraiment le choix : un jour, lors d'un mariage, le photographe se révèle violent, agressif, y compris envers son compagnon. Comme si prendre une photo totalement absurde, inutile, dont il ignore ce qu'il en fera à son retour, devenait soudain un enjeu vital.
Les épisodes s'enchaînent, scandés par les nuits à la belle étoile, les dîners à base de boîtes de « singe », et quelques rares confidences. Jusqu'à la séquence finale, qui suscite un malaise, parce qu'on se souvient tout à coup que ces aimables fermiers portaient peut-être encore, quelques semaines plus tôt, l'uniforme nazi, et que tout peut toujours basculer dans la violence.
Ce roman irréel, onirique, halluciné parfois, du très discret Hubert Mingarelli, auteur d'une œuvre importante, est sans doute son texte le plus énigmatique.
La terre invisible
Buchet-Chastel
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 15 euros ; 192 p.
ISBN: 9782283032244