Roman/Australie 1er mai Ben Hobson

C'est inscrit : « Elisabeth Mary Keogh, Mère bien-aimée etc. ». Sam lit, attentivement. « Cette pierre, décida-t-il, allait enfin rendre sa mort réelle. Il la regarda fixement pendant que les bavardages de l'autre côté du mur perdaient de leur retenue. Mais elle échoua à faire naître en lui un sentiment d'irrévocabilité. » Le garçon de treize ans peine encore à comprendre, et pourtant sa maman n'est plus, même s'il s'est rendu à l'enterrement chez ses parents maternels qui sont encore vivants. Il sera bien seul, ne lui restera plus que son père qu'il connaît peu, pour cause Walter était souvent parti. Walter travaille loin dans l'industrie de la pêche baleinière, sur l'île de Moreton, dans l'Etat du Queensland. C'est là qu'il emmènera ce fils, pour l'endurcir un peu. Pour l'enfant endeuillé, c'est la double peine. Sam devra dompter cette bête sombre du chagrin et apprivoiser ce paternel taiseux.

Nous sommes dans l'Australie des années 1960, il y avait encore pas mal de cétacés au large de la côte Est, la pêche était une pêche comme une autre. Ben Hobson, dans son premier romanLe rêve de la baleine,s'inscrit dans l'héritage des récits maritimes (l'épisode biblique de Jonas avalé par un monstre marin,Le vieil homme et la merd'Hemingway) et la tradition de la littérature sur la relation père-fils-l'incommunicabilité entre les générations et l'idéal d'un père à la hauteur duquel il est si dur pour le fils de se hisser. La mer est un trope en littérature : c'est à la fois l'aventure-l'exotique comme le naufrage-et l'incommensurable-la circumnavigation infinie, l'Odyssée sans Ithaque. Les hommes qui la labourent sont des figures de solitude, des héros sans paroles. Le père montre au fils ce qu'est un homme, un vrai. Si Kipling définit la masculinité dans son fameux poèmeSipar le côté moral, chez « Walt », c'est basique : les garçons, ça ne pleure pas. La leçon au« fiston »est physique:à l'usine, le souvenir et la mélancolie ont vite fait d'être évacués par la rudesse du travail, on est plongé dans l'odeur de sang des carcasses. Sam apprend et s'embarque littéralement sur la voie de l'âge adulte. Cela dit, il n'oublie pas les moments de tendresse maternelle,la poésie de l'enfant qu'il est encore ne le quitte pas, elle enveloppe malgré la dureté de l'environnement d'hommes frustes ce « rite de passage » de la virilité. Hobson réussit formidablement bien son portrait de la société australienne de l'après-guerre, avec l'archétype viril du père et du mari, lequel n'est pas sans meurtrissures sous la rugueuse écorce.

Ben Hobson
Le rêve de la baleine - Traduit de l’anglais (Australie) par Alexandre Lassalle
Rivages
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 23 euros ; 384 p.
ISBN: 9782743647292

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