En tête du 15e Palmarès Livres Hebdo des romans de la rentrée littéraire préférés des -libraires, ceux de Cécile Coulon, Une bête au Paradis (L'Iconoclaste), en littérature française, et de Jonathan Coe, Le cœur de l'Angleterre, en littérature étrangère, se détachent nettement. Parmi les 524 romans de la rentrée répertoriés par Livres Hebdo, ces deux titres plébiscités par 343 libraires interrogés (voir méthodologie p. 30) n'ont toutefois guère de points communs si ce n'est qu'aucun des deux ne figure dans les premières sélections des grands prix littéraires. Une bête au Paradis est un huis clos mêlant les thèmes de la ruralité et de la passion amoureuse. Le cœur de l'Angleterre une fresque -sociopolitique marquée par les défis du Brexit, un -portrait de la Grande-Bretagne entre 2010 et 2018 vue à travers les membres de la famille Trotter, déjà héros de Bienvenue au club (2003) et de Le cercle fermé (2006). Derrière ces textes, dur et violent dans le premier cas, doux-amer et empreint d'humour pour le second, deux écrivains sont eux-mêmes très différents. Cécile Coulon est une jeune femme de 29 ans, découverte par Viviane Hamy, dont le 7e roman est publié pour la première fois par L'Iconoclaste. Jonathan Coe, un auteur confirmé, est fidèle depuis 1995 et son Testament à l'anglaise à l'historique maison Gallimard.
Les libraires, et en particulier les femmes, qui ont plébiscité Une bête au Paradis, confirment leur attachement à une auteure qu'ils avaient déjà fait entrer dans leur palmarès en 2013 pour Le rire du grand blessé et à laquelle ils avaient décerné le Prix des libraires 2017 pour Trois saisons d'orage. Ils sont en phase avec les critiques du Monde des livres, qui ont attribué au roman de Cécile Coulon leur prix littéraire 2019 alors que le titre a été littéralement « descendu » dans l'émission de France Inter, « Le masque et la plume ».
Un bon dosage
Dopés comme chaque année par l'arrivée des nouveautés et le plaisir de découvrir de nouvelles voix, les libraires saluent cet automne les efforts des éditeurs pour limiter leur production. Tandis qu'Isabelle Bossard (La Droguerie marine, à Saint-Malo) juge cette rentrée « moins hystérique que les précédentes », Béatrice Pierre (Labbé, à Blois) « appréhende plus facilement la production et en a une meilleure vision globale ».
Apprécié, ce resserrement du nombre de nouveautés n'a nui ni à la qualité de l'offre, que les libraires jugent bien meilleure que celle de l'an passé, ni à leur appétit de lecture. Ils ont lu autant que les autres années, soit en moyenne de 14 à 22 titres selon les circuits de distribution (voire graphique p. 30). Et, au total, ils ont cité au moins une fois parmi leurs préférés 246 romans, dont 154 en littérature française, saluant « la diversité », « l'ouverture » et surtout « l'équilibre » de la production. Jérôme Pourroy (Le marque-page, à Saint-Marcellin) apprécie notamment « l'absence de mastodonte écrasant le reste ». Juliette Lecœur (Montbarbon, à Bourg-en-Bresse) pointe « le très bon dosage d'excellents titres à la fois parmi les valeurs sûres et parmi les nouvelles voix ».
Habitués de notre palmarès des romans français, Jean-Paul Dubois s'y classe au 2e rang avec Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, Sorj Chalandon au 3e avec Une joie féroce, Valentine Goby au 11e avec Murène et Amélie Nothomb au 14e avec Soif. Auteure d'une dizaine de titres, Bérengère Cournut effectue une percée avec De pierre et d'os, placé 7e et distingué par le prix du Roman Fnac 2019.
Deux premiers romans
Les libraires ont aussi été très réceptifs aux nouveaux talents. En littérature française, leur palmarès fait apparaître deux premiers romans : Le bal des folles, de Victoria Mas (8e), et La chaleur, de Victor Jestin (17e), auxquels on peut ajouter, plus bas dans la liste (28e et 30e), A crier dans les ruines d'Alexandra Koszelyk (Aux forges de Vulcain) et Ceux que je suis d'Olivier Dorchamps (Finitude). En littérature étrangère, sept titres du top 20 relèvent d'auteurs traduits pour la première fois en français, contre quatre l'an dernier. Classé 2e, Ici n'est plus ici, de l'écrivain cheyenne Tommy Orange, est suivi par Cadavres exquis, de l'Argentine Agustina Bazterrica, Les altruistes d'Andrew Ridker, Ce que l'on sème de Regina Porter, A sang perdu de Rae Delbianco, L'été meurt jeune de Mirko Sabatino et Dégels de Julia Phillips.
Symptomatique de leur équilibre, les deux palmarès font apparaître au moins autant de femmes que d'hommes. Le palmarès français compte 14 femmes pour 8 hommes, tandis qu'il y a 8 femmes pour 12 hommes chez les étrangers. Dans cette catégorie, on observe aussi une belle présence des auteurs du sud, avec trois Italiens et trois hispanophones, contre 12 anglophones, 1 Allemand et 1 Islandais.
Particulièrement curieux dans leurs lectures en cette période de l'année, les libraires ont cité au moins un titre de 26 maisons d'édition différentes dans les Top 20 français et étrangers, sans qu'aucune ne se démarque trop fortement. La plus citée, Gallimard, place 6 titres sur 40 (3 côté français et 3 côté étranger). Parallèlement, plusieurs jeunes maisons émergent. L'Iconoclaste, éditeur de Cécile Coulon, place un deuxième ouvrage dans le top 5 français : Cent millions d'années et un jour, de Jean-Baptiste Andrea. Gallmeister affiche deux titres dans le top 20 étranger : La vie en chantier de Pete Fromm (6e) et Les mangeurs d'argile de Peter Farris (14e).
Les femmes et l'exil
Derrière les auteurs et les maisons d'édition, les libraires ont apprécié les thématiques abordées. A côté des histoires de familles et de l'histoire avec un grand H, ils ont beaucoup aimé les textes sur des sujets d'actualité, qu'il s'agisse de la condition de la femme avec Le bal des folles de Victoria Mas, Eden de Monica Sabolo et Les simples de Yannick Grannec, ou le déracinement et l'exil avec Ceux qui partent de Jeanne Benameur et La mer à l'envers de Marie Darrieussecq.
S'ils vont continuer à lire et éprouver de nouveaux coups de cœur, les -libraires doivent désormais promouvoir leurs découvertes auprès de leurs clients. Déterminée à défendre Avant que j'oublie d'Anne Pauly (Verdier) et Vaincre à Rome de Sylvain Coher (Actes Sud), Sophie Todescato (Les Temps modernes, à Orléans) se montre toutefois échaudée par « une année 2018 -marquée par un certain désintérêt pour la fiction » et « circonspecte » sur le potentiel commercial de la nouvelle production. « De plus en plus médiatisées, les listes de prix polluent la rentrée, estime-t-elle. En présentant les nominés, choisis pour des raisons diplomatiques, comme des chefs-d'œuvre, on crée des déceptions qui contribuent à la désaffection observée. »
A l'inverse, François-Xavier -Schmitt (L'Autre rive, à Toulouse) apparaît très confiant, dopé par un démarrage des ventes « encore jamais connu, avec des clients très informés et qui achètent ». Relevant l'optimisme ambiant, notre enquête (voir graphique p. 30) fait ressortir qu'une grande majorité de libraires compte sur cette rentrée littéraire pour dynamiser la fréquentation de leur magasin.
"Un conte cruel et diabolique"
« Le thème de la ruralité est très présent, mais ce n'est pas un roman de terroir, tranche Marina Sauvage, responsable de la littérature chez Quai des mots à Epinal, à propos d'Une bête au Paradis, de Cécile Coulon, son coup de cœur. C'est un très beau livre de littérature sur le monde rural. On y parle d'attachement à la terre, du rude travail dans les fermes, mais l'histoire dépasse ce cadre. C'est un conte cruel et diabolique qui se finit comme un coup de poing. C'est une tragédie sur la noirceur de l'âme humaine et sur la folie qui s'empare peu à peu du personnage de Blanche. La réussite de ce livre tient autant au fond qu'à la forme. Il n'y a rien de trop, les mots tombent juste et le livre se lit très vite. »
La libraire salue aussi l'éclectisme de la production de la rentrée littéraire 2019, et la confirmation du retour en force du romanesque. « Il y en a pour tous les goûts. C'est un plaisir de retrouver les auteurs confirmés qui ne déçoivent pas et de découvrir les nouvelles et belles voix qui émergent ».
Marina Sauvage salue « l'effrayant » premier roman de l'argentine Agustina Bazterrica, Cadavre exquis (Flammarion) qui « dresse un portrait sans concession de notre société de consommation ». Ou encore ceux de Victoria Mas Le bal des folles (Albin Michel) et d'Olivier Dorchamps Ce que je suis (Finitude).
« La diversité des thèmes abordés nous permet de conseiller pleins de livres sachant que nous avons une clientèle très à l'écoute de nos conseils, se félicite la responsable littérature de Quai des mots. Alors que l'an dernier, nos ventes étaient concentrées sur l'auteur local Nicolas Mathieu et son nouveau roman Leurs enfants après eux (Actes Sud), cette année, le jeu est beaucoup plus ouvert. »
"Un excellent roman social "
« Le cœur de l'Angleterre est un excellent roman social qui permet de comprendre comment on en est arrivé au Brexit, se réjouit Béatrice Pierre, responsable de la littérature chez Labbé à Blois (Loir-et-Cher). Jonathan Coe nous plonge au cœur de l'actualité tout en nous permettant de retrouver les sympathiques personnages de sa saga entamée avec Bienvenue au club. Sachant que ces derniers appartiennent à des classes sociales différentes, il nous livre aussi une très intéressante analyse de la fracture sociale en Angleterre. »
La libraire s'est également « régalée » avec Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, de Jean-Paul Dubois (L'Olivier). Elle a apprécié « le charme incroyable » de Borgo Vecchio de l'italien Giosuè Calaciura (Noir sur Blanc) ou encore l'audace de Laurent Binet qui réinvente l'histoire du monde avec Civilizations (Grasset). Elle reconnaît également un coup de cœur pour Virginia d'Emmanuelle Favier (Albin Michel), dont elle avait déjà aimé en 2017 le premier roman, Le courage qu'il faut aux rivières.
Elle est plus réservée sur Une bête au Paradis, de Cécile Coulon, « mais ma collègue plus jeune a beaucoup aimé, précise-t-elle. Peut-être y a-t-il un effet générationnel dans cet écart d'appréciation. »
Se félicitant d'« une rentrée qualitative », Béatrice Pierre a aussi l'impression qu'elle débute commercialement mieux que l'an passé. « En l'absence de titre écrasant, les ventes sont plutôt bien réparties, même si elles concernent pas mal les nouveautés médiatisées et retenues sur les listes de prix littéraires. » La libraire juge également que l'ajout, en magasin, d'une troisième table pour la littérature française, contribue à en doper les ventes.
"Un beau pied de nez"
« J'ai eu un gros coup de cœur pour Une bête au Paradis de Cécile Coulon et pour sa lignée de femmes fortes, lâche Manon Godeau, la directrice de Gargan'Mots à Betton (Ille-et-Vilaine). L'auteure a réussi à mêler les thèmes de la ruralité et de l'enracinement à une terre à celui beaucoup plus universel de l'amour. En plus, elle parvient à faire un beau pied de nez à la fin. »
Parmi les autres titres qu'elle a appréciés, la libraire cite Le ciel par-dessus le toit de Natacha Appanah (Gallimard), Ceux qui partent de Jeanne Benameur (Actes Sud) ainsi que des jeunes talents dont Guillaume Lavenant pour Protocole gouvernante (Rivages) et Emma Becker pour La maison (Flammarion).
Ayant réduit la voilure de son magasin et ne recevant plus les représentants, Manon Godeau a « effectué, cette année, des choix tranchés » après avoir « épluché tous les argumentaires et évidemment lu les services de presse reçus. » Mais elle reconnaît aussi avoir réalisé ses sélections en fonction du diffuseur/distributeur et des niveaux de marges accordés. D'où « des impasses volontaires chez Hachette ».
"Coe, un vieil amour"
« J'ai retrouvé un vieil amour, lance Véronique Mutrel, directrice de La Passerelle, à Antony (Hauts-de-Seine), en parlant de Jonathan Coe et du Cœur de l'Angleterre. J'adore son écriture, son sens de l'humour, son exigence littéraire, mais il y a aussi, ici, une analyse de l'actualité autour du Brexit. On lit un roman, on se fait plaisir et on a l'impression comprendre tout ce qui s'est passé ces dernières années en Grande-Bretagne. » La libraire, qui a participé aux réunions de présentation de la rentrée avant l'été, s'est aussi largement appuyée sur les représentants pour appréhender la production. « Leur rôle est essentiel pour découvrir les jeunes talents », assure cette lectrice avertie qui a notamment repéré Guillaume Lavenant et son premier roman Protocole gouvernante (Rivages). Véronique Mutrel a aussi apprécié Berta Isla de Javier Marias (Gallimard), dont elle salue la traduction, et Girl d'Edna O'Brien (Sabine Wespieser), « qui donne vie à une jeune nigériane enlevée par Boko Haram ». Enthousiasmée par cette nouvelle rentrée, Véronique Mutrel se félicite de voir les lecteurs s'y intéresser eux aussi plus que l'an passé. « Certains savent ce qu'ils veulent, d'autres viennent chercher nos conseils. En tout cas, ils sont présents et cela se ressent sur nos ventes. »
2. Le top 20 des romans étrangers
Rang | Romans étrangers | Points |
---|---|---|
1 | Le cœur de l’Angleterre ; Jonathan Coe ; traduit de l’anglais par Josée Kamoun ; Gallimard | 373 |
2 | Ici n’est plus ici ; Tommy Orange ; traduit de l’américain par Stéphane Roques ; Albin Michel | 263 |
3 | La fabrique des salauds ; Chris Kraus ; traduit de l’allemand ; Belfond | 210 |
4 | Cadavres exquis ; Agustina Bazterrica ; traduit de l’espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud ; Flammarion | 187 |
5 | Dévorer le ciel ; Paolo Giordano ; traduit de l’italien par Nathalie Bauer ; Seuil | 186 |
6 | La vie en chantier ; Pete Fromm ; traduit de l’américain par Juliane Nivelt ; Gallmeister | 164 |
7 | Starlight ; Richard Wagamese ; traduit de l’anglais par Christine Raguet ; Zoé | 161 |
8 | Borgo Vecchio ; Giosuè Calaciura ; traduit de l’italien par Lise Chapuis ; Noir sur Blanc | 140 |
9 | Les altruistes ; Andrew Ridker ; traduit de l’américain par Olivier Deparis ; Rivages | 113 |
10 | Ordesa ; Manuel Vilas ; traduit de l’espagnol ; éditions du sous-sol | 96 |
11 | Ce que l’on sème ; Regina Porter ; traduit de l’américain par Laura Derajinski ; Gallimard | 95 |
12 | Ce qu'elles disent; Miriam Toews ; traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin, Paul Gagné ; Buchet Chastel | 85 |
13 | A sang perdu ; Rae Delbianco ; traduit de l’américain par Théophile Sersiron ; Seuil | 84 |
14 | Les mangeurs d’argile ; Peter Farris ; traduit de l’américain par Anatole Pons ; Gallmeister | 76 |
15 | L’été meurt jeune ; Mirko Sabatino ; traduit de l’italien par Lise Caillat ; Denoël | 67 |
16 | Mon territoire ; Tess Sharpe ; traduit de l’américain par Héloïse Esquié ; Sonatine | 65 |
17 | Girl ; Edna O’Brien ; traduit de l’anglais par Aude de Saint-Loup, Pierre-Emmanuel Dauzat ; Sabine Wespieser | 61 |
18 | Miss Islande ; Audur Ava Olafsdottir ; traduit de l’islandais par Eric Boury ; Zulma | 61 |
19 | Berta Isla ; Javier Marias ; traduit de l’espagnol par Marie-Odile Fortier-Masek ; Gallimard | 58 |
20 | Dégels ; Julia Phillips ; traduit de l’américain par Héloïse Esquié ; Autrement | 58 |
1. Le top 20 des romans français
Rang | Romans français | Points |
---|---|---|
1 | Une bête au paradis ; Cécile Coulon ; Iconoclaste | 342 |
2 | Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon ; Jean-Paul Dubois ; Olivier | 233 |
3 | Une joie féroce ; Sorj Chalandon ; Grasset | 185 |
4 | Civilizations ; Laurent Binet ; Grasset | 182 |
5 | Cent millions d’années et un jour ; Jean-Baptiste Andrea ; Iconoclaste | 160 |
6 | Les choses humaines ; Karine Tuil ; Gallimard | 159 |
7 | De pierre et d’os ; Bérengère Cournut ; illustrations Juliette Maroni ; Le Tripode | 158 |
8 | Le bal des folles ; Victoria Mas ; Albin Michel | 142 |
9 | Ceux qui partent ; Jeanne Benameur ; Actes sud | 127 |
10 | Une partie de badminton ; Olivier Adam ; Flammarion | 120 |
11 | Murène ; Valentine Goby ; Actes sud | 114 |
12 | Eden ; Monica Sabolo ; Gallimard | 108 |
13 | Le ciel par-dessus le toit ; Nathacha Appanah ; Gallimard | 104 |
14 | Soif ; Amélie Nothomb ; Albin Michel | 83 |
15 | Les simples ; Yannick Grannec ; Anne Carrière | 76 |
16 | Jour de courage ; Brigitte Giraud ; Flammarion | 73 |
17 | La chaleur ; Victor Jestin ; Flammarion | 71 |
18 | Rien n’est noir ; Claire Berest ; Stock | 68 |
19 | La mer à l’envers ; Marie Darrieussecq ; POL | 67 |
20 | La tentation ; Luc Lang ; Stock Les guerres intérieures ; Valérie Tong Cuong ; Lattès Où bat le cœur du monde ; Philippe Hayat ; Calmann-Lévy | 64 |