Rentrée littéraire

Palmarès Livres Hebdo des libraires 2015 : Vigan et Morrison à nouveau victorieuses

Premier roman français D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan, Lattès. Déjà distinguée par les libraires en 2011 avec Rien ne s’oppose à la nuit, la romancière récidive cette année avec un score sans appel devant Sorj Chalandon et - Photo Olivier Dion

Palmarès Livres Hebdo des libraires 2015 : Vigan et Morrison à nouveau victorieuses

Pour la première fois, les libraires ont plébiscité des femmes à la fois en littérature française et en littérature étrangère. Avec plus de 200 titres appréciés, ils se montrent optimistes sur les retombées commerciales de la rentrée littéraire.

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Par Clarisse Normand, Cécile Charonnat
Créé le 25.09.2015 à 02h34 ,
Mis à jour le 25.09.2015 à 11h01

Honneur aux dames ! Cette année, pour la première fois, deux femmes dominent le Palmarès Livres Hebdo des libraires : Delphine de Vigan en littérature française et Toni Morrison en littérature étrangère. Une confirmation de leur cote de popularité puisqu’elles ont déjà par le passé, chacune dans sa catégorie, décroché cette palme. Delphine de Vigan l’a obtenue en 2011 avec Rien ne s’oppose à la nuit (par ailleurs distingué par le prix du Roman Fnac et le prix Renaudot des Lycéens) et Toni Morrison, prix Nobel de littérature 1993, en 2012 avec Home.

Plébiscitées

Sans être très surprenante, leur nouvelle performance n’en apparaît pas moins remarquable. Delphine de Vigan est jusqu’à présent la seule femme à s’être imposée sur la première marche du podium français et Toni Morrison est parmi les auteurs étrangers la seule à figurer deux fois numéro un du classement. Les deux lauréates ont même fait, cette année, l’objet d’un véritable consensus puisqu’elles ont été plébiscitées par les libraires, quels que soient leur âge, leur sexe et le circuit de vente dans lequel ils travaillent. Les libraires "gros lecteurs", qui affichent souvent des choix décalés, ont eux aussi voté pour elles. Rejoignant une critique favorable, les libraires sont pour la lauréate française en phase avec les jurys des principaux prix d’automne qui l’ont placée dans leurs premières sélections. Beaucoup saluent "l’intelligence" de son livre qui, sous la forme d’un thriller mettant en scène un double de l’auteure elle-même, interroge les origines de la littérature et son rapport au réel.

Premier roman étranger : Délivrances de Toni Morrison, Bourgois. Court et puissant, le onzième roman de la prix Nobel 1993, qui avait déjà été distinguée en 2012, s’impose nettement devant ceux de Marisha Pessl, Jón Kalman Stefánsson et Javier Cercas. - Photo FRANCESCO GUIDICINI/CAMERAPRESS/GAMMA

Mais le poids des femmes dans notre palmarès va bien au-delà du duo gagnant. En littérature française, sur les cinq premiers titres cités, quatre sont signés par des femmes. Derrière Delphine de Vigan et Jeanne Benameur (n° 3), Carole Martinez voit son talent de conteuse une nouvelle fois distingué tandis que Christine Angot opère avec Un amour impossible un retour remarqué dans notre classement, après une absence de presque dix ans (sa dernière présence date de 2006 avec Rendez-vous). Par ailleurs, en littérature étrangère, la deuxième place est encore occupée par une femme : la jeune Américaine Marisha Pessl pour Intérieur nuit, son second roman. Les libraires confirment ici leur intérêt pour cette auteure remarquée dès 2007 avec La physique des catastrophes, alors déjà 2e dans notre palmarès.

Comme en témoigne ce premier aperçu, les choix des libraires se sont largement portés sur des auteurs qu’ils avaient déjà eu l’occasion d’apprécier. Dans le classement français, on retrouve, à côté des écrivaines citées, Sorj Chalandon, 2e avec un texte très personnel inspiré de son enfance, mais aussi Mathias Enard (6e), particulièrement soutenu par les hommes, ou encore Laurent Binet (7e), dont La septième fonction du langage a déjà reçu le prix du Roman Fnac. Dans le classement étranger figurent des pointures comme l’Espagnol Javier Cercas (4e), l’Américain Jim Harrison (7e) ou encore l’Israélien David Grossman (10e). Moins connu, l’Islandais Jón Kalman Stefánsson, 3e avec D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds, avait lui aussi déjà été remarqué en 2011 pour La tristesse des anges, 8e dans notre palmarès de l’époque.

Des premiers romans

Bien qu’un peu moins nombreux que les années précédentes, les premiers romans ne sont pas absents du palmarès. En littérature française, Alexandre Seurat (8e) se démarque avantageusement avec La maladroite, un premier texte coup de poing sur l’enfance maltraitée paru au Rouergue. En littérature étrangère, où les jeux sont toujours beaucoup plus ouverts, les libraires ont repéré quatre auteurs traduits pour la première fois en français : deux Anglo-Saxons, Ryan Gattis (6e) pour Six jours, particulièrement apprécié par les gros lecteurs, et Darragh McKeon (8e) pour Tout ce qui est solide se dissout dans l’air ; une Brésilienne, Vanessa Barbara (15e) pour Les nuits de laitue ; et un Italien, Alessandro Mari (19e) avec Les folles espérances.

Par ailleurs, un quart des romans étrangers parmi les 20 premiers proviennent d’auteurs traduits en français pour la deuxième fois. Outre Marisha Pessl, les libraires ont apprécié Paul Lynch pour La neige noire (5e), Owen Sheers pour J’ai vu un homme (11e), Antonio Moresco pour Fable d’amour (17e) et Joydeep Roy-Bhattacharya pour Une Antigone à Kandahar, un ouvrage salué outre-Atlantique comme le premier grand roman sur la guerre en Afghanistan.

Comme chaque année, les libraires jugent positivement la production, mais ils la considèrent cette fois plus timide que d’habitude. Il est vrai que les éditeurs ont opté pour une rentrée resserrée et prudente, avec un peu moins de titres publiés. Notre enquête menée auprès de quelque 330 libraires montre aussi que ces derniers ont un peu moins lu. En légère érosion depuis 2009, le nombre de livres lus par les professionnels du premier niveau et par ceux des grandes surfaces culturelles atteint même ses plus bas niveaux depuis dix ans (voir graphique). Toutefois, malgré cette inflexion, les taux de lecture des libraires restent plus qu’honorables, avec une moyenne de 19 livres par libraire au premier niveau, 14 au deuxième niveau et 12 en grande surface spécialisée.

Dans l’ensemble, 205 titres, parmi les 589 nouveautés de la rentrée recensées par Livres Hebdo, ont été appréciés par au moins un libraire : 138 en littérature française et 67 en littérature étrangère, contre, respectivement, 116 et 77 en 2014, 139 et 109 en 2013. Les libraires ont ainsi surtout un peu moins lu en littérature étrangère. Dans ce contexte, leurs préférences sont allées une nouvelle fois aux titres anglo-saxons. Réputés pour leur puissant souffle romanesque, ils sont au nombre de 13 parmi les 20 romans du palmarès.

Dynamisante

Cette année encore, la profession a fait preuve d’une grande curiosité, n’hésitant pas à piocher ses livres de prédilection dans de nombreux catalogues. Pas moins de 76 éditeurs sont cités cette année, dont trois s’introduisent pour la première fois dans les 20 premières places. Il s’agit en littérature française d’Alma avec La variante chilienne de Pierre Raufast (15e), dont le premier roman La fractale des raviolis avait été remarqué l’an dernier, et de L’Iconoclaste avec Victor Hugo vient de mourir de Judith Perrignon (19e) ; et, en littérature étrangère, de Verdier avec Fable d’amour de l’Italien Antonio Moresco.

Conscients qu’ils ont encore, à ce stade, beaucoup à découvrir, les libraires se disent confiants sur la capacité de la rentrée littéraire à stimuler leur activité. Portés par un bon début d’année, ils sont même 93 % parmi ceux du premier niveau à anticiper une dynamisation de leur point de vente. En l’absence de polémique et de titres véritablement écrasants, ils jouent pleinement leur rôle de découvreur et de conseiller auprès des lecteurs, avec, pour certains, l’organisation de rencontres et d’animations originales. C. N.

Anthony Clément : fou de rencontres

Anthony Clément - Photo LIBRAIRIE CARACTÈRE

Propriétaire de Caractères à Mont-de-Marsan

Organisateur de plus de 150 rencontres par an, Anthony Clément, qui a repris Caractères, à Mont-de-Marsan, il y a cinq ans, intensifie le rythme pour la rentrée littéraire. Le libraire annonce une vingtaine d’événements en octobre, doublés de plusieurs interventions en médiathèque afin de présenter aux lecteurs et aux bibliothécaires la rentrée littéraire et la sélection de la librairie. Point d’orgue de ce marathon : la probable venue de Boualem Sansal, qu’Anthony Clément pressent pour le Goncourt même si, du côté français, sa préférence va, parmi les quelque 35 livres lus, à Mathias Enard : "Plus qu’un livre érudit, Boussole tire ses lecteurs vers le haut. Et c’est formidablement bien écrit." Dans les meilleures ventes de Caractères, ses autres coups de cœur, Les gens dans l’enveloppe d’Isabelle Monnin (Lattès), L’infinie comédie de David Foster Wallace (L’Olivier) et D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds de Jón Kalman Stefánsson (Gallimard), côtoient Délivrances de Toni Morrison, plébiscité dans le palmarès Livres Hebdo des libraires. C. Ch.

Frédéric Versolato : "bluffé"

Frédéric Versolato - Photo 47° NORD

Fondateur et directeur de 47° Nord à Mulhouse

Parmi les quelque quarante titres de la rentrée littéraire qu’il a lus, Frédéric Versolato, le fondateur et directeur de 47° Nord à Mulhouse, a trouvé cette année des pépites qui l’ont surpris, voire "bluffé". Avec, en tête, Intérieur nuit de Marisha Pessl (Gallimard). "Ce livre est un pur roman, impressionnant d’ingéniosité, surprenant jusqu’à la dernière ligne et marqué par une maîtrise du style rarement égalée", estime le libraire. C’est d’ailleurs l’ouvrage qu’il vend le plus et qui compose son duo gagnant de la rentrée littéraire avec Profession du père de Sorj Chalandon (Grasset), "bluffant par sa fin". Le libraire pronostique le Goncourt à Boualem Sansal, "qui a produit un livre de science-fiction déroutant". Côté animation, c’est Frédéric Versolato qui espère étonner ses clients : il cherche à faire dire le premier roman d’Alexandre Seurat, La maladroite (Rouergue), par une troupe de théâtre, un exercice qu’il inaugure le 13 novembre avec le récit de Birgit Vanderbeke, Le dîner de moules, paru en 1995 chez Stock et qui sera suivi… d’un dîner de moules dans un restaurant voisin. C. Ch.

Valérie Broutin : adepte de la lenteur

Valérie Broutin - Photo OLIVIER DION

Directrice de L’Horizon à Boulogne-sur-Mer

Pas forcément "accro de la rentrée littéraire", Valérie Broutin, propriétaire de la librairie L’Horizon, à Boulogne-sur-Mer, a commencé ses lectures début juillet et en a achevé une quinzaine, parmi lesquelles elle distingue La source d’Anne-Marie Garat. "Je lis à la vitesse de mes clients et les gens ne se précipitent pas sur la rentrée, précise la libraire. Ce qui sort maintenant nous permet surtout de conseiller les cadeaux de fin d’année." Elle étale donc ses lectures jusqu’en novembre et n’hésite pas à écouter les conseils de ses clients. Alléchée par des retours élogieux, elle a ainsi mis en haut de sa pile La septième fonction du langage de Laurent Binet (Grasset), "un roman traité comme un polar et qui a l’air drôle, avec des références culturelles et littéraires mais qui ne sont pas écrasantes". C’est d’ailleurs le roman qui a décollé à L’Horizon, alors qu’elle attendait davantage celui de Sorj Chalandon. "C’est toujours le stress de cette période : prévoir le livre qui fera du bruit", observe Valérie Broutin. A côté de ce succès, elle parvient tout de même à placer dans ses meilleures ventes l’un de ses coups de cœur, Les fugueurs de Glasgow de Peter May (Rouergue). C. Ch.

Ladislas Brault : amoureux de "vraies histoires"

Ladislas Brault - Photo OLIVIER DION

Librairie de Bagatelle à Neuilly-sur-Seine

En 2014, Ladislas Brault avait trouvé dans la rentrée littéraire "beaucoup de choses qui [lui] plaisaient beaucoup". En 2015, c’est plutôt "pas mal de choses pas mal". Pour le responsable de la Librairie de Bagatelle, à Neuilly-sur-Seine, la rentrée littéraire 2015 est "un ton en dessous. Nous n’y avons pas trouvé de très grands livres, capables d’emporter les ventes immédiatement. Mais la multiplicité de titres qui demeurent intéressants, notamment du côté de l’étranger, devrait nous permettre de porter le chiffre sur la longueur", analyse le libraire. Parmi les 70 titres lus environ, le cœur de cet amoureux "des vraies histoires" penche du côté des Anglo-Saxons. Il a particulièrement aimé J’ai vu un homme d’Owen Sheers (Rivages) et Funny girl de Nick Hornby (Stock), qui dresse "une peinture des années soixante réjouissante". En littérature française, très marquée d’après Ladislas Brault par l’exofiction - qui consiste à s’emparer d’une personnalité plus ou moins célèbre pour en faire un personnage de roman -, selon lui seul D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan, lauréate du palmarès, se distingue vraiment. C. Ch.

Les libraires lisent (un peu) moins

L’impact sur le marché

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