Delphine de Vigan - J’y suis bien sûr très sensible. Les libraires sont un type de lecteurs particuliers et je leur dois beaucoup. Dès le début, quelque chose d’important s’est joué avec eux. Ce sont eux qui ont commencé à porter mes livres. Dès mon premier texte Jours sans faim, j’ai été reçue dans des librairies et en premier lieu à La Terrasse de Gutenberg à Paris (11e). Puis en 2008, alors que je n’étais pas encore connue, No et moi a été distingué par le prix des Libraires.
Avec Rien ne s’oppose à la nuit, ce fut assez particulier. C’est un texte très émotionnel qui, lors de mes rencontres avec le public, a parfois suscité des échanges forts et de vrais moments de bonheur. Mais, au-delà de cet exemple, j’ai toujours eu beaucoup de plaisir et d’intérêt à aller au contact des lecteurs. J’aime cela. A partir du moment où le livre est publié, il échappe à l’auteur et devient un objet d’interprétations, or celles-ci peuvent être très différentes d’une personne à l’autre. Du coup, j’ai le sentiment d’apprendre beaucoup de choses sur mes livres à travers ces échanges, d’autant que certains lecteurs me suivent depuis un certain temps et n’hésitent pas à dresser des passerelles entre mes différents romans. Mais les gens qui viennent me rencontrer en librairie ne m’ont pas forcément lue. Ils viennent aussi par curiosité, prêts à se laisser conquérir ou au contraire enclins à garder une certaine réserve.
Je crois que ce qui compte avant tout, c’est son implication dans la rencontre. En tant qu’auteur, on sent tout de suite si le libraire est investi ou s’il fait juste son job, sans plus. Après, il y a différents types de rencontres possibles. Personnellement, je n’aime pas me déplacer pour une simple signature. Je demande à ce qu’il y ait un moment d’échange. J’aime bien aussi lire mes textes à voix haute.
Oui : les rencontres filmées ! Cela se fait de plus en plus et je me bats contre. En tout cas, moi, je refuse d’être filmée. L’intérêt d’une rencontre en librairie, c’est d’avoir des échanges qui ne sont pas médiatisés et qui ne laisseront pas de trace. Du coup, la parole est plus libre. Il devient possible de dire des choses impliquantes qui ne pourraient pas être dites ailleurs. En filmant, on casse cela.
J’ai dû me rendre dans une quarantaine d’enseignes. Mais lorsque je me déplace pour des raisons professionnelles, je n’ai guère le temps de flâner dans les rayons. J’ai un très bon souvenir de La Procure à Paris, du Furet du nord à Lille ou encore de Coiffard à Nantes. Mais j’en ai un tout aussi excellent d’une minuscule librairie à Bruz, en Bretagne.
J’essaie à la fois d’être fidèle à celles qui me soutiennent depuis le début, et d’en découvrir de nouvelles. J’aimerais d’ailleurs davantage me rendre dans des petites librairies, situées notamment à la campagne. Au fil de mes déplacements, je me suis rendu compte qu’en fonction des villes les publics n’étaient pas les mêmes et, du coup, les échanges étaient aussi assez différents. Cette diversité est enrichissante. Cela étant, mon éditeur me conseille. Et puis, il y a des contraintes géographiques car les déplacements sont très fatigants. Il faut donc les rationaliser.
J’achète essentiellement en librairie. Dans le quartier où j’habite, dans le 11e arrondissement parisien, il y a trois librairies que je fréquente : L’Imagigraphe, Les Guetteurs de vent et Libralire. Elles sont très différentes, du coup, selon mon humeur ou selon ce que je cherche, je choisis l’une ou l’autre. Mais je vais aussi parfois à la Fnac, notamment quand j’ai besoin d’avoir plus de choix, que je n’ai pas d’idée précise. J’aime bien pouvoir voir et toucher. En revanche, j’achète très peu sur Internet. Les rares fois où j’ai commandé sur Amazon, c’était parce que le livre que je cherchais était épuisé et donc difficile à trouver.
Oui. Blandine Vecten, qui a fondé Libralire au début des années 1990, et qui est malheureusement décédée en 2008. C’est une femme qui a fait beaucoup pour amener les jeunes à la lecture. Elle travaillait avec les écoles, proposait aux élèves des ateliers de lecture, des rencontres avec des conteurs. A l’époque, déjà, j’habitais le quartier et mes enfants étaient jeunes. Je me suis très vite sentie en affinité avec elle. Du coup, quand j’ai écrit Jours sans faim, je lui ai fait lire le texte avant de l’envoyer à quiconque. A l’époque, je ne connaissais personne dans le milieu éditorial et son regard de libraire m’est naturellement apparu comme important.
Pour l’instant je ne suis allée que chez Compagnie, à Paris (5e). Mais déjà je me rends compte que ma prochaine tournée sera plus facile que la précédente car il y a moins d’enjeux affectifs dans ce nouveau livre.