Entretien

Olivier Norek : "Je suis devenu le Lapin shérif"

Olivier Norek - Photo © Michel Lafon

Olivier Norek : "Je suis devenu le Lapin shérif"

Olivier Norek, devenu l'un des auteurs à succès dans le polar français, va se lancer dans la jeunesse avec un album qui paraîtra début février aux éditions Michel Lafon et France Inter. Rencontre.

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Par Thomas Faidherbe
Créé le 18.12.2020 à 13h03

Olivier Norek change de genre. L’auteur de six polars, dont Surtensions, Prix Le Point du polar européen et Grand prix des lectrices de Elle en policier, Surface, lauréat du prix de la Maison de la presse, prix des lecteurs Babelio et prix Relay des voyageurs lecteurs et Impact, paru en octobre et déjà vendu à plus de 50000 exemplaires, se lance dans la littérature jeunesse. Le lapin shérif paraîtra le 4 février, coédité par Michel Lafon et France Inter dans sa collection "Une histoire et... oli", déclinaison de son podcast de contes pour enfants. L'album jeunesse est réalisé avec le dessinateur Marcel Pixel.

Pour l’occasion, l'auteur nous dévoile ce projet de longue date qui lui tenait à cœur. Entre son ancien quotidien de policier et sa nouvelle vie de romancier, l'Aveyronnais d’origine revient sur cette nouvelle vie, entre les polars et les scénarios de séries.


Comment s’est passé le passage du polar au livre jeunesse ?

Un jour, j’ai raconté au cours d’une interview une histoire de mon enfance que je voulais adapter. A partir de ce moment, mon éditeur a tenu à entendre cette histoire. Je lui ai donc raconté le récit du lapin shérif. Il m'a dit : "c'est bon, il faut en faire quelque chose. C'est une histoire de votre enfance, c'est ton truc, c'est ton enfance. Il faut absolument que l'on raconte cela dans un album jeunesse." Effectivement, c'est un public que je voulais approcher, à la fois le public jeunesse et le public ado. Je me suis penché sur cette idée. Ainsi, j'ai commencé à imaginer la manière dont je pourrais la raconter

Comment avez-vous collaboré avec l'illustrateur Marcel Pixel ?

Cela a été très simple. Je lui ai envoyé le texte. Il m'a envoyé un ou deux croquis de la manière dont il allait présenter les personnages. J'ai immédiatement validé parce qu'il a un trait très agréable à regarder. Quand j'ai reçu toutes les planches, c'est assez rare pour le souligner, je n'ai rien eu à dire. Le travail était juste parfait. Malgré la collaboration un peu éloignée, parce cela s'est fait en plein Covid, on a pu échanger plusieurs fois. C’est un dessinateur formidable, qui m'a fait un très beau cadeau. Marcel Pixel a été un choix de cœur pour moi et mon éditeur.

Quelle est l’origine du Lapin Shérif ? 

Lapin Shérif, c'est une histoire toute simple. J'avais cette mauvaise habitude quand j'étais petit de prévenir ma mère des choses" super importantes" qu'il fallait que je fasse pour le lendemain : travailler un contrôle, sortie scolaire ou pour déguisement du mardi gras. Lors de cette journée assez spéciale, tous les enfants venaient déguisés. C'était assez fabuleux. Évidemment, la veille je n'avais pas de costume. Ma mère se décide à faire un déguisement de lapin. Sauf que ce lapin n'était pas très bien fait, avec des collants blancs et un tshirt blanc. Elle m'avait fait une longue queue alors que les lapins ont un pompon. A cette époque, j'étais désespéré avec mon lapin à grande queue. Je me suis dit "tout le monde va se moquer de moi". Mon père a trouvé une étoile de shérif d'un vieux déguisement de cowboy dans la cave en me disant "tu n'es pas un lapin, tu es un lapin shérif, le roi des lapins, le roi des shérifs." Alors que normalement, j'aurais dû me sentir tout recroquevillé, tout gêné, tout intimidé par le regard de l'autre, je suis sorti de là tellement fier de moi, que je n'ai pas offert aux autres la possibilité de se moquer. C'est un peu l'idée de mon bouquin. C'est de raconter l'histoire de ce gamin, qui a honte au départ mais qui est tellement reboosté par son père et sa mère qu'il en ressort conquérant et vainqueur.

Est ce que l’histoire du lapin Shérif était un message prémonitoire concernant votre avenir de policier ? 

C'est assez amusant, mes parents m'ont donné la confiance d'être le lapin shérif grâce aux graines qu'ils ont semés en moi, et parce qu'il m'ont laissé pousser comme il le voulait. Ils m'ont permis d'être le lapin shérif. 20 ans plus tard, je suis devenu le capitaine Norek. Je suis devenu pour de vrai un lapin shérif. 

Entre la parution de votre dernier roman policier Impact et celle de ce livre jeunesse, il n'y a que quelques mois d'écart. A quoi tient cette productivité?

Je suis un garçon qui se lasse très vite, c'est une certitude. C'est pour ça que j'ai commencé à écrire une trilogie, parce que j'avais 18 ans de police à raconter. Très rapidement, j'ai eu envie de raconter, d'aller voir ailleurs et d'écrire autre chose. Juste après cette trilogie, je me suis orienté vers un polar qui se passe dans un camp de réfugiés, au sein même de la jungle de Calais. Ensuite, je me suis décidé à écrire sur le monde rural, alors que je n'ai jamais travaillé en tant que flic à la campagne. Puis dernièrement avec Impact, sur l'urgence climatique et écologique, qui aussi me fait sortir de la fameuse zone de confort.

Avec tous ses sujets, j’ai l’occasion d’apprendre et de découvrir de nouveaux territoires, de nouvelles personnalités, de nouvelles coutumes. C'est ma manière à moi de ne jamais m'ennuyer. Ça me pousse à imaginer des histoires que je n'ai pas encore racontées. Quand j'aborde un sujet qui m’est étranger, c'est l'assurance pour moi d'aborder des choses que je ne connaissais pas avant. C’est une manière de s'enrichir et d’apprendre au contact des autres.

Comment expliquez-vous le phénomène du polar en France ?  

Déjà le polar, dans son cote roman noir et dans son côté presque social,  raconte notre quotidien. Ce n'est pas de la littérature de quelqu'un qui va parler de lui-même et de sa famille. Non, le polar, il parle à l'autre tout le temps, parce que justement le polar joue avec son lecteur. Il essaye de lui donner du suspense, de le faire frissonner, de le faire espérer. Dès les premiers mots du polar, il touche son lectorat. Parce qu'on va jouer avec ses sentiments. A la manière des faits divers, on va lui parler de ce qui est autour de lui. C'est pour cette raison qu'il est proche des lecteurs. Et puis, il y a autre chose. Le roman policier, il parle de la mort. C'est le seul rendez-vous que l'on ne ratera pas. Imaginer le trajet psychologique, moral, intellectuel que nous devons faire tous les jours, pour nous dire qu'il y a une fin, jusqu' à en rire ou s'en amuser. On défie la mort dans les romans policiers, et si on la défie, on se donne l'impression de jouer avec. Et si on joue avec, peut-être qu'elle n'existe pas. Le lecteur se dit "comme dans les faits divers, ouf ce n'est pas moi". Parce que justement on essaye de vivre avec ce concept assez difficile de savoir qu'on a une fin. Le roman policier joue avec nos peurs. 

Mais ce n'est pas la seule force de la littérature policière...

Dans le roman, ce qui est très intéressant, c'est qu'il ne montre rien. En tant que lecteur, vous êtes obligé de puiser dans votre propre banque d'image. Quand cent personnes voient un film, cent personnes auront vu le même film. Mais si cent personnes lisent un roman, alors ils auront lu un roman différent avec une banque d’images personnelle. Le roman que vous avez dans votre bibliothèque, ce n'est pas l'attrape-cœurs de JD Salinger, c'est votre Attrape-cœurs de Salinger. Ce ne sont pas Les racines du mal de Dantec, mais vos Racines du mal, parce que vous avez mis vos propres images. La télé, elle vous nourrit comme un patient malade. On vous donne des pistes, vous devez construire l'imaginaire à partir de votre banque d'images. En fin de compte, l'histoire est beaucoup plus forte dans un livre, parce que c'est votre histoire avec vos peurs et vos angoisses. Vous devez tout inventer, au contraire de la télévision.

Que reste-t-il du policier dans votre travail de romancier ?

Bien sûr: j'écris mes romans exactement comme je faisais mes enquêtes. C'est-à-dire que je suis très, très minutieux. Je commence par me renseigner et enquêter. Je vais voir tous les personnages, tous les lieux,  toutes les professions qui vont peupler mon récit. Je vais goûter, sentir, toucher les choses et les vivre pour les retransmettre le mieux possible. Ensuite c'est une mise en place. Chez moi, j'ai un grand tableau blanc de 2 mètres sur 2 mètres. Comme dans une enquête avec plusieurs victimes et plusieurs suspects,  on veut avoir une image complète. Après, je réfléchis à mon intrigue. Je fais ensuite un passage de résumé. Je prends des fiches, en soulignant les informations importantes pour le chapitre. Je sais exactement où je vais, sans aucune surprise pour moi. Toutes les surprises, elles sont pour les lecteurs. Ce qui me permet d'offrir un crescendo pour les lecteurs jusqu'au feu d'artifice final. Comme en tant que policier, mon travail est avant tout une grosse recherche d'infos, avant d'interpeller le suspect ou de frapper les premiers mots sur mon ordinateur.

Combien de temps ce travail vous occupe-t-il ? 

Pour le Lapin Shérif, c'est un texte que j'ai rapidement écrit, en quelques semaines seulement. Ce fut assez rapide, je n'ai pas eu besoin d'enquête puisque cette histoire est la mienne. J'avais seulement besoin de replonger dans mes souvenirs. Au contraire pour la trilogie du Capitaine Coste [Code 93, Territoires, Surtensions], il m'a fallu deux, trois mois d'enquête et un an d'écriture. Quand je suis passé à des sujets que je connaissais moins, comme sur la jungle de Calais, Il m'a fallu six mois d'enquête. Pour un sujet dont j'ignorais l'essentiel et qui est victime de manipulation d'informations et de mensonges comme la transition écologique, il m'a fallu un peu plus d'un an pour recueillir toutes les données. J'ai dû faire un gros travail de défrichage, pour séparer les le vrai du faux, car je voulais que toutes mes informations soient vérifiées. 

Dans Impact, votre dernier polar, vous abordez les impacts des industries polluantes. Une manière de vous engager pour la planète ? 

J'écris sur des sujets d'actualité parce qu'ils sont dans mon ventre. Entre deux mondes, je l'ai écrit parce que c'est l'histoire de mon grand père qui était migrant. C'était une histoire importante pour moi. Pour le climat, c'est aussi important, parce qu’en tant que policier face aux plus grands serials killers du monde que sont la pollution et le réchauffement climatique, soitt 20 millions de morts par an, on ne fait rien. Donc pour moi, en tant que policier impuissant face à cet adversaire, je me suis dit que le minimum était d'en faire un bouquin. Je ne suis pas au supermarché des bons sentiments avec un caddie que je remplirais de sujets à la mode. J'ai pris ces deux sujets-là parce qu'ils me concernent. De temps en temps, il y a quelque chose de tellement fort, de tellement injuste, douloureux, que je ne peux pas faire autrement que d' écrire un livre. Il faut que ce soit des sujets qui me touchent et me révoltent. Mais, pour mon prochain roman, cela sera très sûrement un simple polar. 

Vous êtes scénariste de la série Canal+ Engrenages, comptez-vous adapter vos polars ? 

Tous mes romans sont "optionnés". Il y a une équipe qui travaille sur ma trilogie du Capitaine Coste (Code 93, Territoires, Surtensions). Une société de production travaille sur Entre deux mondes. Et une autre travaille à adapter Surface. Dernièrement avec Impact, nous sommes en train de constituer une équipe pour l'imaginer en série ou en film. Parallèlement, j'écris des téléfilms et des séries qui ne sont pas des romans. Je divise ma vie en deux : j'écris un bouquin, puis pendant 5-6 mois de repos, j'écris un scénario. Ça me permet de ne jamais me lasser et de changer de sujet continuellement. J'ai surtout l'impression de vivre dans un wagonnet d'un "Grand 8" de fête foraine. 

 


 

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