En trente ans de carrière, il a traduit 120 titres de plus de 70 auteurs anglophones : Barack Obama, Bruce Springsteen, Quentin Tarantino, Russell Hoban, Patti Smith, Richard Brautignan ou Tom Drury pour n’en citer que quelques-uns. Avec Par instants, le sol penche bizarrement, à paraître le 2 septembre chez Robert Laffont, Nicolas Richard fait l'inventaire de ses traductions, de ses réflexions et ses doutes, et propose un ouvrage pédagogique sur les mots et les différentes manières de les traduire.
Livres Hebdo : Vous ne vous destiniez pas à la traduction apprend-on dans votre livre. Comment êtes-vous devenu traducteur ?Nicolas Richard : L’impulsion initiale a été de faire en sorte que des œuvres qui me plaisaient énormément soient accessibles en français. Le début de ma carrière a un côté romanesque et ridicule. J’avais une vingtaine d’années quand je suis parti faire un séjour aux Etats-Unis. J’y ai découvert des poèmes inédits de Richard Brautigan. A mon retour en France, je me suis aperçu que certains de ses poèmes avaient été traduits par Frédéric Lasaygues dans Une tortue à son balcon (L’Incertain, 1989).
Mais cet ouvrage était une sélection de textes provenant de différents recueils. J’ai appelé l’éditeur, Gilles Vidal. Au lieu d’être extrêmement respectueux, je lui ai dit "Mais c’est scandaleux ! Qui êtes-vous pour décider, comme ça, que tel poème doit être écarté ?". Gilles Vidal a manifestement été assez patient et a dû entendre que ce n’était pas de l’agressivité mais plutôt une sorte d’enthousiasme. Il m’a proposé de se rencontrer. Je suis venu en stop à Paris depuis la Touraine et l’histoire ne s’est pas arrêtée là : il a publié mon premier recueil Tu es si belle qu’il se met à pleuvoir de Richard Brautigan puis un deuxième Journal japonais. J’ai continué à aller aux Etats-Unis et à lui apporter des textes qu’il a publié. Mon itinéraire est un peu atypique mais je ne pense pas être le seul.
La particularité de votre ouvrage est de vouloir "jouer" avec vos lecteurs. Après une réflexion sur votre traduction d’Un pour marquer la cadence de James Crumley (Gallimard, 1992), vous écrivez : "Restons-en là, je suis sûr que des lecteurs trouveront mieux"…
J’ai constaté lors de joutes littéraires ou d’ateliers de traduction que lorsque nous sommes plusieurs à plancher sur un même texte, nous avons plus de chances de trouver les réponses à nos questions puisque chacun arrive avec sa culture et ses références. L’objectif de mon livre est de montrer que la traduction repose sur des énigmes et des rébus. En 2019, lors d'une joute de traduction pendant le festival Le goût des autres au Havre, Charles Recoursé et moi avons traduit, chacun de notre côté, quelques pages des Raisins de la colère de Steinbeck. Alors qu’aucun de nous n’a fait de bourde ou de contre-sens, nous avions moins d’une dizaine de phrases en commun. Après, pour pondérer cela, la traduction n’est pas non plus de l’hyper-subjectivité : je ne dois pouvoir argumenter mes choix auprès des éditeurs.
Vous écrivez également : "Voici un premier paradoxe : j’exerce un métier solitaire et pourtant je fais souvent appel à des personnes, de mon entourage ou lointaines". Pourquoi est-ce important ?
J’ai souvent des doutes, comme je l’explique sur 475 pages. Pour les lever, je suis en contact autant que possible avec l’auteur ou l’autrice et d’autres traducteurs. Et sinon, je demande autour de moi selon les compétences de chacun. C’est comme ça que je me suis retrouvé à Issy-les-Moulineaux, un samedi après-midi, au milieu de mordus de pêche pour Intempéries de Thomas McGuane (Cherche-midi, 2003) alors que je n’avais jamais pêché de ma vie ! Ce n’était pas tant pour une question de lexique, de syntaxe ou de grammaire mais pour comprendre ce qu’il se passait dans la nouvelle et de réfléchir avec des personnes qui connaissaient le domaine bien mieux que moi. Par respect pour les lecteurs qui s’y connaissent, je devais leur présenter une traduction recevable.
A vous lire, la traduction parfaite n’existe pas. Avez-vous publié un texte dont la traduction ne mériterait pas d’être reprise ?
Non, pas du tout ! Le français change et les langues bougent entre elles. Nous vivons avec des matières malléables qui évoluent dans le temps. La traduction ultime à laquelle on ne retouchera pas n’existe pas. A un instant T, je rends la traduction que j’estime être la meilleure possible, tout en étant infiniment conscient que mon travail est périssable.
Par instants, le sol penche bizarrement paraîtra le 2 septembre chez Robert Laffont. Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Je ne suis pas le sujet de mon livre mais un algorithme vivant. Quand j’ai commencé à lire de la littérature américaine, j’avais repéré des traducteurs dont Brice Matthieussent et sa collection "Fictives" chez Christian Bourgois Editeur. Il était presque un gage de qualité : s’il avait travaillé sur un texte, il y avait de grandes chances pour qu’il m’intéresse. C’est comme ça que j’ai découvert des auteurs irlandais comme Robert McLiam Wilson. Après trente ans de carrière, je peux désormais être cette courroie de transmission. L'idée de mon livre est d’inviter les lecteurs à découvrir des livres formidables qu’ils ne connaissent pas, et mon outil pour faire connaître ces œuvres, c’est la traduction.