D'autres tiennent simplement à un « Toudoum » mondialement connu. Le 25 décembre dernier, Netflix met en ligne la première saison des Chroniques de Bridgerton, sorte de Gossip Girl sous la Régence anglaise inspirée de la série de livres éponymes de la romancière américaine Julia Quinn. En quelques semaines, 82 millions de personnes dans le monde visionnent la série. Effet immédiat en librairie : la saga de romans, parue en France en 2009 chez J'ai lu, redécolle de façon spectaculaire avec 120 000 exemplaires vendus du premier diptyque depuis janvier. Les tomes 3 et 4, sortis mi-mars, dépassent les 60 000 ventes, tandis que le diptyque suivant, paru le 19 mai, démarre en trombe.
Les chroniques de Bridgerton, mais aussi Lupin, production française avec Omar Sy dans le rôle-titre, inspirée du gentleman cambrioleur de Maurice Leblanc (70 millions de visionnages sur Netflix, une entrée instantanée dans les meilleures ventes jeunesse pour Hachette Livre), ou Le jeu de la dame, autre phénomène qui a affolé les compteurs de la plateforme en octobre, adapté d'un livre de Walter Trevis que Gallmeister a choisi d'avancer à mars... Netflix serait-il le plus puissant des prescripteurs littéraires ?
Si les adaptations en film ou en série dopent depuis longtemps les ventes de livres, la force de frappe de l'entreprise de Los Gatos, avec ses 200 millions d'abonnés, porte la prescription à un autre niveau. La plateforme, qui vient d'annoncer le recrutement d'un directeur du scouting littéraire, fait même son entrée dans notre liste des programmes télé les plus influents, certes timidement (cité par moins de 1% des libraires), mais « c'est significatif » pour Thibault d'Orso. Le cofondateur de la start-up Spideo, spécialisée dans la recommandation audiovisuelle, et de la plateforme Rumo, qui offre une solution de conseils culturels aux entreprises, estime que « les plateformes de vidéos à la demande ont vu leurs usages exploser pendant le confinement, et ce n'est pas franchement retombé depuis. Dans l'étude, Netflix fait figure d'influenceur dans la vente de livres, alors qu'il n'est pas du tout relié au livre au départ. C'est un jeu d'influence intersectorielle qui apparaît comme un signal faible, mais qui va grossir ». Il pointe aussi le développement de la plateforme d'animés japonais Anime Digital Network (ADN), cofondée par Média-Participations et Viz Media Europe.
Hausse des productions locales
Du côté de la Société civile des éditeurs de langue française (Scelf), on note en effet « une croissance exponentielle des contrats d'adaptations avec les plateformes, en particulier depuis deux ans ». Et cette hausse ne devrait pas s'arrêter de sitôt, car la directive « services de médias audiovisuels » de novembre 2018 impose désormais à ces plateformes étrangères d'investir une partie de leur chiffre d'affaires dans des productions locales. Et donc, de chercher davantage de bonnes histoires locales.
« Beaucoup de grosses sociétés américaines installent des bureaux en Europe, et toutes cherchent à faire du glocal, un mélange de global et de local », constate Laurent Duvault, directeur du développement audiovisuel chez Média-Participations, qui a vu les options pour des cessions en série dépasser en nombre celles des films depuis environ deux ans. « Les scouts lisent tout et dans tous les sens, aussi bien pour les producteurs que pour les plateformes directement, et les contrats se sont tellement complexifiés qu'ils sont désormais livrés avec de l'aspirine ! », ajoute-t-il dans un sourire.
Clauses de confidentialité de plusieurs pages, droits de diffusion toujours plus étendus, dans le milieu, les Américains sont réputés durs en affaires, mais ils suivent le mouvement. Pour son premier film original produit en France, Amazon Prime Video a choisi une adaptation du Bal des folles, de Victoria Mas (Albin Michel, 2019), réalisé par Mélanie Laurent et dont la sortie est prévue cette année. Disney + de son côté, n'annonce pas encore d'adaptations de livres parmi ses quatre premiers programmes français, mais une série inspirée de l'affaire Malik Oussekine et signée entre autres par la romancière Faïza Guène. Sans oublier les possibilités offertes par les plateformes françaises BrutX, Salto, ou encore MyCanal.
Une rente pour les éditeurs
Fabrice de La Patellière, directeur de la fiction et des coproductions internationales de Canal + le confirme, « nous sommes toujours à la recherche d'un bon sujet, d'un bon scénario ou de bons personnages, d'autant que nous mettons l'accent en ce moment sur la création de séries. Et la littérature française constitue une matière énorme ». Pour les séries développées sous le label Créations originales Canal +, la chaîne a pour l'instant choisi d'aller vers la création contemporaine et de se démarquer des adaptations de classiques, qui sont légion sur le service public.
Les sauvages, série façon thriller politique de Rebecca Zlotowski et Sabri Louatah, tirée des romans de ce dernier, ou Vernon Subutex, créé par Cathy Verney à partir de la saga de Virginie Despentes, « sont deux réussites critiques et médiatiques », affirme le directeur de la fiction, qui met aussi en avant la « relation privilégiée » qu'il entretient avec les éditeurs du groupe Editis, appartenant comme Canal + à Vivendi. Sur la dizaine de projets de séries en développement pour la chaîne, la moitié environ est adaptée d'un livre, ou d'une série d'ouvrages.
Peu de ces projets verront réellement le jour. « Sur 100 options d'adaptation signées, cinq seulement aboutissent », juge Laurent Duvault, mais l'opération reste de toute façon rentable pour les éditeurs. Une option, sorte d'exclusivité d'adaptation réservée au producteur qui la pose, expire en moyenne au bout de 12 ou 18 mois. Mais dès la deuxième option posée, l'éditeur conserve la somme, que l'opération aboutisse ou non à une cession. « Pour certaines œuvres, c'est une vraie rente, avec des options sans cesse renouvelées ». Jusqu'au prochain carton Netflix.