22 MARS - LITTÉRATURE Grande-Bretagne

Virginia Woolf en 1902.- Photo GEORGE CHARLES BERESFORD

Dire de Virginia Woolf (1882-1941) qu'elle est un auteur hors du commun peut paraître une évidence, mais correspond pourtant à la réalité. Rien que la composition des deux présents volumes dans la "Bibliothèque de la Pléiade" en porte témoignage. Comment devait-on les intituler ? Quels ouvrages fallait-il y rassembler et dans quel ordre ? Problèmes de méthodologie éditoriale, sans doute, mais déterminants puisque l'ambition ici affichée est de rendre plus accessible à un public français une oeuvre certes illustre, mais complexe, diverse, impressionnante par sa profondeur psychologique, sa mélancolie pathologique et son humour mêlés.

Le titre fameux du film (et de la pièce dont il était tiré) Qui a peur de Virginia Woolf ? peut encore être pris au pied de la lettre. L'oeuvre de Virginia Woolf est impossible à classer dans un genre connu. L'écrivain en avait elle-même clairement conscience, qui remarquait : "Je crois bien que je vais inventer un nouveau nom pour mes livres, pour remplacer "roman". Un nouveau... de Virginia Woolf. Mais quoi ?" Elégie, poésie, essai, théâtre, poème dramatique pour Les vagues, roman-essai pour Les années, et même biographie pour Flush et Orlando. Ce qui, dans ce dernier cas, ne correspond guère au livre, une fantaisie historique composée en 1928 où Virginia s'amuse à inventer les avatars précédents de sa grande amie, "l'androgyne" Vita Sackville-West ! Un texte où l'on a pu lire aussi l'expression des opinions politiques et morales de Woolf, qui s'est toujours revendiquée travailliste, suffragette, féministe, ne faisant pas mystère de son homosexualité, mais sans jamais tomber dans la provocation ni le scandale wildiens.

Tout en rendant hommage aux "passeurs" qui ont introduit Virginia Woolf en France, comme Marguerite Yourcenar, l'équipe de la "Pléiade" dirigée par Jacques Aubert a donc choisi de composer deux forts volumes chronologiques, de Traversées, dans sa version d'origine de 1915, à Entre les actes, qu'elle avait achevé juste avant son suicide - elle s'est noyée le 28 mars 1941 dans la rivière Ouse, près de sa maison de Rodmell - et que son mari Leonard publiera à la fin de cette même année. Soit toute la partie "romanesque" de l'oeuvre de Woolf : ses dix "romans", son recueil de nouvelles, Lundi ou mardi, restitué dans son état complet pour la première fois, ainsi qu'un certain nombre d'autres nouvelles, soit jamais reprises en volumes, soit demeurées inédites de son vivant. Les traductions de cette édition sont, dans leur majorité, nouvelles.

C'est un monument, bien sûr. Pas un mausolée. On se souvient à chaque page de la triste destinée de Virginia Woolf, meurtrie par ses deuils familiaux, traumatisée par des abus sexuels subis dans son enfance, détruite par la maladie, la dépression chronique, ses pulsions suicidaires, ses difficultés grandissantes à travailler, même si elle transpose et transcende tout en fiction. Si elle invente et imagine. Comme Proust, dont elle avait découvert et admiré éperdument l'oeuvre dès 1922, et dont elle disait : "Il y a là quelque chose de sexuel." Elle y ressentait à la fois un côté masculin et un côté féminin. On pourrait qualifier de la même façon sa propre recherche.

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