Enfants cruels, monstres lubriques, corps sans tête et vice versa, et surtout écolières en uniforme (fantasme majuscule au Japon), soumises, plus ou moins consentantes, à tous les traitements… Cornélius entame avec Rêve écarlate une "anthologie chronologique et raisonnée" de l’œuvre de Toshio Saeki. Cet artiste majeur au Japon a, dès 1970, à 25 ans, réinventé le style ero guro (érotico-grotesque), mêlant des motifs traditionnels de l’estampe japonaise à ses propres angoisses dans des dessins aux couleurs flashy très "pop culture".
Comme l’écrit l’éditeur Jean-Louis Gauthey en introduction, chacun peut retrouver dans les pages fascinantes et souvent horrifiques de Toshio Saeki "quelque chose qu’il connaît déjà : la pointe précise d’Hiroshige, la perversité de Sade, les thématiques de Ranpo [l’écrivain Edogawa Ranpo, inventeur de l’ero guro vers 1930, NDLR], la ligne claire d’Hergé". Mais ces dessins, qui représentent un enfant poursuivi sous l’œil souriant d’un facteur à vélo par une femme enceinte en larmes qu’il vient d’éventrer au sabre, une jeune femme décapitant en l’embrassant un cadre agenouillé dont le sang éclabousse une écolière se livrant à l’onanisme, ou une autre enlaçant la tête de son amoureux au corps de serpent devant des personnages agitant le drapeau nippon et l’emblématique mont Fuji, ne laissent pas de surprendre.
Fantasmes sexuels brassant, voire brocardant l’imaginaire national, souvent effrayants de cruauté, ils sont toujours empreints d’une infinie mélancolie et, en dépit de leur violence, d’un sens de l’humour certain. L’inventivité déployée par Toshio Saeki pour contourner dans ses dessins érotiques et surréalistes la loi japonaise qui prohibe la représentation des sexes force l’admiration. Fabrice Piault