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Michel Serres : un penseur alerte

Michel Serres, académicien, historien et auteur - Photo DR

Michel Serres : un penseur alerte

Philosophe voyageur, qui se définissait comme passeur, Michel Serres s'est éteint à l'âge de 88 ans, hier. Il laisse derrière lui une œuvre de près de 70 titres.

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Par Vincy Thomas
Créé le 02.06.2019 à 15h00

Michel Serres, décédé le 1er juin à l’âge de 88 ans, était un philosophe populaire. Sachant manier les mots,  formidable pédagogue, il fut rapidement mis à contribution par les médias pour sonder notre époque et ses sources d’interrogation. Des sciences au quotidien, il abordait tous les sujets, avec une suavité et une gourmandise dans la forme, une réelle envie d’être compris dans le fond. A la fois terrien et spirituel, joyeux et grave.
 
Réputé doux et s’émerveillant de tout, ni prophète, ni prosélyte, Michel Serres résistait à sa manière à la défaillance de la connaissance, tout en scrutant le monde tel qu’il advenait, se désolant malgré tout de la désadaptation de l’humain comme de l’économie face à une révolution technologique et à une crise écologique.
 
En février, il a publié Morales espiègles, son dernier livre (collection « Manifestes », Le Pommier), éloge de l’humilité et du rire en six textes bienveillants.
 
Il a écrit près de 70 livres, dont la moitié depuis 2000 aux éditions Le Pommier. Son premier ouvrage n’est autre que sa thèse, Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques (PUF), qui paraît en 1968. En se servant des mathématiques, il introduit alors la notion de structure dans l’histoire de la philosophie. Mais Serres n’aime rien tant que de casser les barrières, de construire des ponts entre la science et la philosophie. Selon lui, pour être philosophe, il faut voyager.
 
Cela le conduira à une série de cinq volumes, Hermès, publiée chez Minuit de 1969 à 1980. Un périple sur la communication où le philosophe n’est qu’un « passeur » de savoir. Pas surprenant alors qu’il consacre certains de ses ouvrages à Jules Verne (Jouvences, Minuit, 1974, Jules Verne, la science et l’homme contemporain, Le Pommier, 2003)), Emile Zola (Feux et signaux de brume, Grasset, 1975), Carpaccio (Esthétiques sur Carpaccio, Hermann, 1975, Carpaccio, les esclaves libérés, Le Pommier, 2007) et Lucrèce (La naissance de la physique dans le texte de Lucrèce, Minuit, 1977). L’art académique comme la culture populaire (Hergé, mon ami, Moulinsart, 2000) sont matière à réfléchir. « Le seul acte intellectuel authentique, c'est l'invention » écrivait-il.
 
A la fin des années 1970, mal reconnu en France (il est au département d’histoire et non de philosophie à la Sorbonne, le Collège de France ne le coopte pas), il s’en va en Californie pour tenir une conférence, avec son accent du sud-ouest. Il sait séduire et s’en sert pour élargir son audience, jusqu’à toucher le grand public et devenir une voix incontournable des radios publiques.
 
Il se réfugie aussi dans l’écriture : Le parasite (Grasset, 1980), Genèse (Grasset, 1982), Détachement (Flammarion, 1983) et Les Cinq sens (Grasset, 1985). Prix Médicis, l’essai s’interroge sur un système où les corps s’entremêlent : « Une tradition veut que la vérité soit un dévoilement. Une chose, un ensemble de choses couvertes d'un voile à découvrir. La philosophie équivaudrait à une variété un peu ennuyeuse d'illusionnisme ou de prestidigitation si elle se réduisait à cet exercice. La science perdrait de sa complexité s'il ne s'agissait que de découverte. Cela paraît puéril » écrit-il dans l’ouvrage.
 
A partir de cet essai, ses livres deviendront de plus en plus accessibles, et exploreront la manière dont tourne le monde, tout en appelant l’Homme à limiter sa puissance et à respecter la nature, l’art et la culture, qui fondent les belles civilisations. Il égraine cette pensée dans Le contrat naturel (François Bourin, 1990), Eloge de la philosophie en langue française (Fayard, 1995), Nouvelles du monde (Flammarion, 1997)…
 
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.
A partir de 2001, il trouve au sein des éditions Le Pommier, une maison qu’il ne quittera plus. L’éditeur y publie toutes ses variations sur les mêmes thèmes : Variations sur le corps, Récits d’humanisme, Petites chroniques du dimanche soir (en deux quatre tomes), Temps des crises, Ecrivains, savants et philosophes font le tour du monde, Du bonheur, aujourd’hui et De l’impertinence, aujourd’hui (avec Michel Polacco), Darwin, Bonaparte et le Samaritain : une philosophie de l’histoire, C’était mieux avant, Défense et illustration de la langue française aujourd’hui.
 
Deux de ses livres sont particulièrement remarqués. Avec Le gaucher boiteux (2015), essai sur l'histoire de la pensée et de son émergence, à travers le grand récit de l'Univers, celui du gaucher boiteux et celui du gaucher pensant, il confronte notre individualisme dans une société régie par l’information et le numérique, bouclant ainsi son corpus débuté quatre décennies plus tôt avec Hermès et prolongeant sa réflexion de Petite poucette.
 
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Œuvre majeure de sa bibliographie, Petite Poucette, publié en 2012, best-seller vendu à plus de 200000 exemplaires, dépeint une nouvelle révolution, celle des nouvelles technologies, après les passages de l'oral à l'écrit et de l'écrit à l'imprimé, qui s'accompagne elle aussi de transformations politiques, sociales et cognitives qui en font une période de crises. A partir de ce monde en plein changement, il évoque la nécessité de tout réinventer : institutions, cohésion sociale, manière de vivre, façon d’apprendre…  Cette mutation anthropologique, selon lui, aura un impact aussi bien sur l’organisation des savoirs que dans la manière dont l’humain va être capable de gérer sa mémoire.
 
« Les sciences cognitives montrent que l'usage de la Toile, la lecture ou l'écriture au pouce des messages, la consultation de Wikipédia ou de Facebook n'excitent pas les mêmes neurones ni les mêmes zones corticales que l'usage du livre, de l'ardoise ou du cahier. Ils peuvent manipuler plusieurs informations à la fois. Ils ne connaissent, ni n'intègrent, ni ne synthétisent comme nous leurs ascendants. Ils n'ont plus la même tête » décryptait le philosophe, qui aimait rappeler : « Sans toujours nous en douter, nous vivons ensemble, aujourd'hui, comme enfants du livre et petits-fils de l'écriture. »
 
 
 

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