8 janvier > Roman France

Christophe Bigot- Photo DR/LA MARTINIÈRE

Quel rapport entre le fameux portrait de Frantz Liszt du musée Carnavalet, où le compositeur hongrois, bras croisés, vous fixe de son regard de feu, et le chef-d’œuvre du pointillisme, Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte, signé Georges Seurat ? Apparemment aucun, si ce n’est que l’auteur du second tableau fut l’élève de l’auteur du premier. L’élève a laissé son nom à la postérité, le maître quant à lui est oublié. Christophe Bigot l’a repêché du purgatoire des peintres académiques. Henri Lehmann (1814-1882) est le narrateur de son nouveau livre, Les premiers de leur siècle, roman sur l’épopée romantique, où l’on croise Delacroix, Sainte-Beuve ou Stendhal… Après L’archange et le procureur sur Camille Desmoulins (Gallimard, 2008), puis une incursion dans le contemporain avec L’hystéricon (Gallimard, 2010), sorte de Décaméron de Boccace à l’heure de la télé-réalité, Christophe Bigot renoue avec "le roman en costume". C’est par le petit bout de la lorgnette intimiste que Lehmann, devenu membre de l’Institut et professeur à l’Ecole des beaux-arts, revisite ses rencontres, ses engouements, ses chagrins. Fils d’artisan juif allemand converti au protestantisme, le jeune Lehmann débarque chez sa tante à Paris, afin de parfaire son éducation artistique. Bientôt, il intègre l’atelier d’Ingres. Avec le peintre des carnations glacées et des corps harmonieux, il apprend qu’il faut sublimer ce que la nature nous présente. Mais la leçon ne sera pas tant esthétique que sentimentale. Quand Ingres, nommé directeur de la villa Médicis à Rome, l’invite à séjourner dans la Ville éternelle, il fera la rencontre de toute une vie : celle de Liszt et de sa maîtresse Marie. Le génie de la musique romantique et la comtesse d’Agoult, esprit libre, mère de deux enfants et qui brava toutes les conventions pour suivre son amant. Lehmann tombe amoureux de l’amour - la passion qui unit ce duo mythique. Et se lie d’amitié avec Marie d’Agoult, aristocrate française par son père, et par sa mère d’une famille de banquiers juifs allemands devenus luthériens comme lui. Ces "affinités germaniques" vont ourdir entre Lehmann et Marie une relation, au-delà de la liaison de cette dernière avec Liszt, à tel point qu’il deviendra le parrain de l’un des rejetons du couple. Marie est surtout une espèce d’alter ego de l’artiste raté. Elle signe sous le pseudonyme Daniel Stern avec beaucoup moins de succès que sa rivale et autre scandaleuse, George Sand, maîtresse de Chopin. Portraitiste de talent, Lehmann reste un épigone d’Ingres ; contrairement à Seurat, l’élève n’a pas dépassé le maître. Sean J. Rose

Les dernières
actualités