Comment un médecin devient-il un assassin ? C’est l’interrogation de Michel Cymes. Comment cherche-t-il à le faire oublier ? C’est le sujet de l’enquête captivante menée par Nicholas Kulish et Souad Mekhennet. Les deux journalistes - il dirige le bureau berlinois du New York Times, elle est correspondante pour le Washington Post - ont suivi la trace d’Aribert Heim, de Mauthausen, où il fut surnommé "docteur La Mort", au Caire, où il mourut en 1992 converti à l’islam sous le nom de Tarek Hussein Farid.
Cette traque se présente comme un roman noir, vraiment très noir, avec son lot d’atrocités et de souffrances. On voit comment Heim non seulement est passé entre les mailles du filet comme Mengele, mais a pu exercer dans les années 1950 sa profession de gynécologue à Baden-Baden, jusqu’à ce qu’il soit rattrapé par son passé. Il choisit alors l’exil plutôt que la justice.
Au cœur de ce récit, s’installe le couple étonnant formé par Simon Wiesenthal, survivant de la Shoah, et Alfred Aedtner, vétéran de la Wehrmacht devenu policier. Les deux sont unis dans la traque des nazis et ne vont pas lâcher leur proie. Mais il y a aussi la famille de Heim, le fils qui ne veut pas croire à cette monstruosité, la fille qui garde de l’affection pour ce père bourreau qu’elle n’a pas connu, ou Mahmoud Doma qui se souvient de "l’oncle Tarek" qui vivait au premier étage de l’hôtel Kasr el-Madina, au Caire.
Michel Cymes revient lui aussi sur l’histoire de ce criminel dans son Hippocrate aux enfers. Mais il n’est pas le seul, loin s’en faut, à avoir profité du nazisme pour faire des expériences inutiles dont le seul but était moins de faire avancer la science que de donner la mort, surtout aux Juifs, aux Tsiganes et à tous les déportés.
L’animateur du "Magazine de la santé" (l’émission sur France 5 et la collection chez Marabout), médecin lui-même et dont les deux grands-pères furent exterminés à Auschwitz, veut croire qu’il y avait quelques compétences parmi ces toubibs bourreaux. En aucun cas. Ils profitèrent tous d’une autorisation de tuer. Ils la prirent au mépris de l’éthique. Puis ils s’enfermèrent dans le déni, invoquant les ordres ou la terreur, en oubliant que ce sont eux qui ajoutèrent de l’enfer dans ces camps mortifères. L. L.