Essai

Mayyu Ali avec Émilie Lopes, "L'effacement. Un poète au cœur du génocide des Rohingyas" (Grasset) : La poésie pour survivre

Mayyu Ali - Photo © Mayyu Ali

Mayyu Ali avec Émilie Lopes, "L'effacement. Un poète au cœur du génocide des Rohingyas" (Grasset) : La poésie pour survivre

Le témoignage poignant du poète Mayyu Ali pointe la réalité occultée du génocide commis contre son peuple, les Rohingyas. 

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 21.03.2022 à 15h00

« Les Rohingyas sont les plus oubliés des oubliés. » Cette minorité musulmane, ancrée en Birmanie, souffre depuis des années dans l'indifférence. Son statut de pestiférée est entériné lorsqu'elle est privée de sa citoyenneté en 1982. Une mort symbolique qui va se muer en véritable génocide. Les villages sont incendiés, les hommes assassinés, les femmes et les fillettes violées. 740 000 personnes partent alors sur la route de l'exil vers le Bangladesh.

« Derrière chaque victime, il y a avant tout un être humain capable de reprendre son destin en main », note la journaliste française Émilie Lopes. C'est pourquoi elle nous offre la voix d'un homme profondément humaniste, Mayyu Ali. Ce récit remarquablement écrit suit son parcours et celui d'un peuple désormais maudit.Pourtant c'est sa force de vie qui irrigue ces pages poignantes. « Je suis né rohingya. Ce mot définit ma religion, mon ethnie, mon appartenance, ce que je suis finalement. Il me condamne aussi. » Mayyu Ali est né en 1991, l'année de l'attribution du prix Nobel de la paix à Aung San Suu Kyi, qui a basculé dans la négation d'un crime dictatorial et génocidaire.

Mayyu, lui, refuse de se taire. Dans sa région instable, l'Arakan, son grand-père lui rappelle fièrement : « Ne l'oublie pas. Tu es ici dans ton pays, sur tes terres. » Mais le jeune homme constate que « la Birmanie a rayé notre existence de son histoire [...] J'étais étranger dans mon propre pays ». En 2017, les militaires birmans détruisent son village. Mayyu et les siens fuient vers Kutupalong, le plus grand camp de réfugiés au monde. Situé au Bangladesh, il est plongé dans la misère. Face à la violence, à la haine et au radicalisme sévissant dans le camp, ce poète s'implique à contre-courant.

« Contre les couteaux et les machettes, je proposais aux jeunes de prendre des stylos et d'ouvrir des livres. La littérature plutôt que l'extrémisme. » Mais cela ne suffisant pas, il s'engage dans la presse internationale, et auprès d'Action contre la Faim ou Fortify Rights, où il dénonce la violation des droits humains. Ce combat lui vaut d'être menacé de mort, alors il rejoint le Canada après des années de clandestinité. « Nous sommes nés pour survivre. Être rohingya est un défi de tous les jours. Écrire est ma lutte. »

Aussi ce récit exceptionnel est-il parsemé de ses poèmes révoltés. « Les mots guérissent les blessures que les armes ravivent. » Il en va de même de l'amour ou la paternité qui illuminent la vie de cet homme, en quête de liberté, justice et dignité.

Mayyu Ali avec Émilie Lopes
L'effacement. Un poète au coeur du génocide des Rohingyas
Grasset
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 272 p.
ISBN: 9782246821694

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