Jeunesse

Maureen Desmailles : « Il faut se battre très fort pour que nos livres continuent d’exister »

Dans son roman "La Chasse", Maureen Desmailles a choisit de faire l'impasse sur le genre de son narrateur. - Photo E.C

Maureen Desmailles : « Il faut se battre très fort pour que nos livres continuent d’exister »

Couronnée du prix Vendredi 2024 pour son premier roman La Chasse (Thierry Magnier), Maureen Desmailles revient, pour Livres Hebdo, sur son processus d’écriture, de réflexion mais aussi sur ses projets en cours.  

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Par Élodie Carreira
Créé le 05.11.2024 à 19h03

Livres Hebdo : Vous venez de remporter le prix Vendredi. Comment accueillez-vous cette récompense littéraire ?

Maureen Desmailles : Je ne m’attendais pas du tout à recevoir ce prix. Il s’agit de mon premier roman et à l’origine, je ne viens pas du milieu de l’édition. Pour moi, le prix Vendredi est plutôt un prix qui récompense une carrière et en littérature jeunesse, il a une très grande réputation, donc c’était absolument inattendu.

Comment avez-vous eu l’idée de ce livre ?

Je m’intéresse beaucoup aux questions de genre et d’orientation sexuelle. Ce sont des thématiques qui m’ont beaucoup animée pendant mes études de cinéma et ma thèse, donc bien avant que je ne me mette à écrire de la fiction. À l’époque, je me disais que ce serait intéressant d’avoir un récit qui fasse l’impasse sur le genre du personnage principal. J’avais donc fait un premier essai sur une nouvelle, une histoire de « stalking ». Plus tard, j’ai rencontré la collection « L’Ardeur » des éditions Thierry Magnier au salon de Montreuil, l’année où Hélène Vignal a remporté la Pépite d’or pour Queen Kong (Thierry Magnier). C’est là que mon idée de départ est revenue. C’est un peu une manière de couper l’herbe sous le pied à toutes les questions de binarisme et de contraintes à l’hétérosexualité. Et ça permet aussi de déplacer le débat sur des questions plus émotionnelles, ce qui, précisément, m’importait le plus.

« Je voulais que le héros puisse exister au-delà de son genre »

Avez-vous rencontré des difficultés en déjouant ainsi les codes classiques de la narration ?

C’était un peu compliqué sur les premières pages. Il me fallait trouver l’angle du personnage, chose qui se produit pour tous les romans, quel que soit le profil du héros. Je voulais qu’il puisse exister au-delà de son genre. En réalité, c’est déjà ce que l’on fait en tant qu’auteur : on ne pense pas forcément un personnage comme un homme ou une femme quand on le construit. J’ai choisi d’ignorer cette caractéristique-là comme on pourrait ignorer la couleur des yeux, la taille des cheveux. J’ai aussi choisi une conjugaison au passé simple, ce qui m’a permis de déjouer certaines contraintes grammaticales. Je crois qu’à partir du moment où on décide de faire un récit qui n’est pas hétéronormé, il faut se forcer à penser au-delà du binarisme. La binarité, c'est l’hétérosexualité.

Cela donne-t-il plus de liberté d’imagination au lecteur ?

En tout cas, cela demande un effort de collaboration, de coopération avec le lecteur ou la lectrice. Lorsqu’un livre est publié, il n’appartient plus à l’auteur. Il devient la propriété de ceux qui le lisent, qui s’en emparent et qui « braconnent », comme le dit Michel de Certeau, ce qui les intéresse dans le livre.

« En tant qu’auteur, on ne peut pas compter sur ses peurs de ne pas être lu »

En 2023, l'un des titres de la collection « L’Ardeur », Bien trop petit de Manu Causse, a été interdit à la vente aux mineurs par le ministère de l’Intérieur, au motif que celui-ci constituait « un contenu à caractère pornographique ». Que répondez-vous à ceux qui ne voient pas d’un très bon œil le sujet de la sexualité dans des livres à destination d’un public jeunesse ?

« L’Ardeur » est une collection qui porte un regard critique sur les sexualités au pluriel. Elle ne se veut pas pédagogique ou didactique. Elle a plutôt vocation à donner aux adolescents des outils pour qu’ils puissent penser leurs propres envies et désirs. Et dieu sait que c’est une question compliquée à cet âge-là ! Pendant l’adolescence, les injonctions sociales sont très fortes, alors même qu’on tâche de se constituer comme individu. Saisir cette période de la vie en abordant les sexualités, c’est aussi ouvrir tout un champ de réflexions nouvelles. Il y a encore beaucoup de résistance dès lors que l’on aborde la sexualité adressée aux enfants et davantage encore lorsqu’on croise cette problématique aux questions de genre, d’identité, d’orientation sexuelle. En tant qu’auteur, on ne peut pas compter sur ses propres peurs de ne pas être lu, de ne pas être compris, surtout dans le climat actuel. Au contraire, je pense qu’il faut se battre très fort pour que nos livres continuent d’exister, notamment dans un espace comme celui des éditions Thierry Magnier. Mais il faut aussi qu’ils puissent exister dans plein d’autres maisons d’édition qui peuvent avoir des lignes éditoriales plus généralistes.

Lire plus : « Roman jeunesse censuré : « Nous n’avons pas pu faire valoir nos arguments », déplore l’auteur Manu Causse. »

À ce propos, quels sont vos futurs projets ?

J’ai publié un deuxième livre il y a trois semaines, toujours aux éditions Thierry Magnier. Il s’appelle La candidate et c’est un livre sur la télé-réalité, dont je suis très fière et que j’ai beaucoup aimé écrire. C’est un sujet à propos duquel il existe beaucoup de discours moralisateurs, mais très peu critiques, notamment en fiction. En ce moment, je travaille sur un troisième titre, donc on peut dire que les choses suivent leur cours !

« La chasse » (Thierry Magnier) de Maureen Desmailles

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