4 janvier > Roman France

L’arbre du pays Toraja est à peine un roman. "Un récit libre dans sa forme, dans son agencement et dans son déroulé", confie à un moment l’auteur-narrateur. Presque une méditation sur les choses de la vie, une interrogation sur la maladie, la mort, illustrée par plusieurs histoires qui s’imbriquent, des épisodes imaginaires ou authentiques (transposés), des personnages fictifs ou réellement croisés. Un livre sensible, grave par instants, délicatement drôle à d’autres, et, au final, optimiste : c’est l’amour qui finira par triompher, avec l’annonce d’un enfant à naître, celui du narrateur et de la belle Elena, la "jeune femme du 6e étage", dont il s’est épris à force de la contempler depuis sa propre fenêtre, le bureau où il écrit ses films. Lui est réalisateur, avec une carrière en montagnes russes. Elle, d’origine croate, chercheuse au CNRS, travaille sur la somatisation (en gros, car tout cela est un peu compliqué), et le narrateur va la consulter pour se mettre au net avec ses interrogations sur la maladie, sur ce corps qui, vieillissant, devient "inamical".

La cinquantaine venue, le narrateur peine à passer ce cap et se sent "encerclé par la mort". Celle de Jean-Christophe, son copain de jeunesse suicidé à 19 ans, qui le hante toujours. Celle d’Agathe, mort-née il y a vingt-deux ans et dont Florence, son ex-femme, ne s’est jamais remise. Divorcés, ils s’aiment toujours, et se revoient jusqu’à l’apparition d’Elena, et son propre départ au Brésil, avec son nouveau mari. Et surtout celle d’Eugène, son producteur, son meilleur ami, mort d’un sévère cancer le 23 février 2013. On n’aura aucune peine à reconnaître, dans ce dernier personnage, à peine transposé, Jean-Marc Roberts, le charismatique patron de Stock durant de longues années, éditeur de Philippe Claudel depuis 2002, et bien plus que cela. L’auteur avait d’ailleurs célébré son ami dans un récit "à chaud", Jean-Bark (Stock, 2013), tout en émotion et en retenue. Les pages qu’il consacre aujourd’hui à Eugène sont parmi les plus belles de ce livre, avec celles où il accompagne Elena à Pula, en Croatie, pour revoir la maison de son enfance. C’est là qu’elle lui annonce qu’elle est enceinte de ses œuvres.

La vie continue, "the show must go on", comme pourrait chanter Beth Gibbons, de Portishead, laquelle passe dans le livre, tout comme Milan Kundera ou Michel Piccoli. Cet ami d’Eugène, rencontré à son enterrement - réinventé par Claudel -, acceptera d’interpréter, dans le prochain film du narrateur, La fabrique intérieure, le rôle de Dieu. Il fallait bien qu’Il apparaisse dans cette histoire.

Jean-Claude Perrier

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