L'homme-dé bouge encore. L'humain étant normalement doté de raison, il lui est insupportable de constater le déficit de rationalité dans la marche du monde. Les Anciens fournissaient une explication au tragique de nos existences en blâmant la fatalité, autrement dit le bon vouloir des dieux qui n'aiment rien tant que de nous accabler. Les croyants voient encore dans ces voies impénétrables du Seigneur les effets d'une volonté divine transcendante et mystérieuse : la Providence... Depuis que, avec Nietzsche, Dieu est mort et que Freud a découvert l'inconscient, on se dit que, même si ça ne s'explique pas, les raisons de nos agissements parfois si contraires à notre propre intérêt se trouvent dans les profondeurs de notre psyché... L'homme-dé, le héros éponyme du roman culte de l'auteur américain George Cockcroft (décédé en 2020) alias Luke Rhinehart, choisit de ne pas choisir. Puisque notre volonté personnelle, quelque direction qu'elle prenne, se cogne au mur du réel, le narrateur, fameux psy new-yorkais appelé également Luke Rhinehart, décide que chacune de ses actions sera désormais déterminée par un lancer de dés. L'homme-dé, paru outre-Atlantique en 1971, a fait son petit bonhomme de chemin jusqu'à atteindre les sommets du best-seller, d'abord en Europe, puis aux États-Unis... Le livre se vendra à deux millions d'exemplaires de par le monde, suscitant la curiosité d'un public désireux de savoir s'il s'agissait vraiment du récit autobiographique d'un psychanalyste subversif convertissant ses patients à l'irresponsabilité totale : la « vie-dé », un mode d'être régi par les dés... En France, le titre, paru dès 1973, a été récemment repris et retraduit aux Forges de Vulcain. Sous l'égide de la même maison, Luke Rhinehart, l'homme-dé, revient pour notre plus grand bonheur et au grand dam de son rejeton, Larry, hanter les pages de cette suite, Le fils de l'homme-dé. Ledit rejeton, qui n'a plus de nouvelles du paternel, est analyste financier et ne laisse rien au hasard. Ni sur le plan professionnel ni dans sa vie personnelle. Il sort avec la fille de son patron qu'il entend épouser... Jusqu'au jour où le FBI débarque chez Larry à la recherche du fondateur d'une communauté hippie, « ce connard [qui] n'avait cessé de répandre des idées immondes - pornographie, promiscuité honteuse, sida, herpès, drogues, violence, filles-mères, combines pour profiter des aides sociales ». Le fils doit retrouver le père avant la police... Et Larry d'être happé dans des tribulations déjantées, foisonnantes de chausse-trappes mystificatrices et d'aventures érotiques... où se mêle la voix du prophète des dés par le truchement de son journal intime : « Il faut refuser de participer aux activités humaines. Donnez votre démission, mais n'oubliez pas de signer la lettre d'une fausse signature ! »