Le 8 octobre dernier, le 113e prix Nobel de littérature a consacré une femme méconnue, Louise Glück. Un entretien exclusif nous permet de faire la lumière sur cette personnalité discrète, qui préfère rester dans l'ombre de sa plume. « Tous les narrateurs de mes livres sont des morceaux de moi. » Omniprésente dans son œuvre, « l'enfance semble formatrice pour les écrivains. Cette période cruciale fait écho à ma vie d'adulte. » Elle a pourtant du mal à décrire le matriarcat qui l'a façonnée. « Tous les témoins d'antan sont morts... » Si sa mère paraissait exigeante, sa grand-mère débordait d'amour. Elle-même se décrit comme une petite fille très jolie, tyrannique et angoissée. « Il y a beaucoup de silence dans ma famille et mes poèmes. Je n'aime pas expliquer les choses car mes écrits se suffisent à eux-mêmes. » Louise naît au sein de la classe moyenne juive américaine. Son enfance, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n'est guère marquée par la Shoah. « Nos proches ont été épargnés, alors je n'étais pas consciente de cette réalité si ce n'est en lisant Anne Frank, qui m'a émue. » Louise évolue dans un milieu laïc, mais ses poèmes se nourrissent parfois de la Bible ou de la mythologie grecque. « La lecture m'a aidée à trouver ma voix. La poésie n'en est que l'extension. L'univers fictif et poétique me semblait plus vivifiant que le monde du vivant. » Elle grandit à Long Island, où elle se sent aliénée, « or ma vie intérieure était bien réelle ». Anxieuse et rejetée, elle se trouve différente des autres enfants, mais lors d'un camp de vacances musical, elle comprend « qu'il existait des gens aussi sensibles et artistiques que moi. Cela m'a ouvert le champ des possibles. »
« L'écriture me torture quand elle ne vient pas, mais elle transcende ma vie. » N'ayant rien oublié de son passé douloureux, elle s'en sert pour se venger « des souffrances, des injustices et des pertes subies ». C'est pourquoi ses livres lui offrent « une rédemption magique ». Une philosophie qu'elle retrouve dans la nature inspirante du Vermont. « Source de vie, de survie et de renouveau », elle nourrit ses recueils. « Lorsqu'on passe de la désolation hivernale à la renaissance printanière, cela donne de l'espoir. » Universels, ses poèmes parlent de vie et de mort car « il n'y a rien d'autre à explorer dans ce grand puzzle de l'existence ». La Covid vient évidemment perturber celle-ci. Ses recueils bilingues, publiés aujourd'hui, datent d'il y a quelque temps, mais ils abordent déjà « l'interruption de nos vies individuelles et collectives. Cette pandémie me semble néanmoins unique, parce qu'on ne pourra pas retourner à un monde intact. » Alors que Louise a réussi à finir un nouveau recueil, elle avoue que les gens lui manquent. « Je chéris mes amis, mon fils sommelier, ma famille et mes étudiants, qui m'ont appris la nouveauté. » Le Nobel est symbole d'honneur. « Je n'imaginais pas qu'il puisse récompenser une femme poétesse d'un pays devenu si ingrat avec Trump. Personne n'est libre, même si je le suis quand j'écris. Il s'agit d'une échappatoire à la vie. »
L'iris sauvage Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marie Olivier
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 17 € ; 160 p.
ISBN: 9782072939778
Nuit de foi et de vertu Traduit de l'anglais (États-Unis) par Romain Benini
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 17 € ; 160 p.
ISBN: 9782072939822
bio
1943 Née à New York, elle grandit à Long Island. 1961 Entamant des études qu'elle ne finit pas, elle préfère enseigner à l'université. 1993 Prix Pulitzer de poésie pour L'iris sauvage (Gallimard). 2014 National Book Award pour Nuit de foi et de vertu (Gallimard). 2020 Prix Nobel de littérature.