Mens sana in corpore sano. Lorsqu'il proposa, en 1894, de ressusciter les Jeux olympiques, le baron français Pierre de Coubertin, plus tard controversé à cause de sa misogynie, de sa fascination pour le fascisme et Hitler, s'adressait à quatorze nations. Deux ans après, en 1896, le Comité international olympique, qu'il fonda et présida jusqu'en 1925, organisait ses premiers Jeux. Symboliquement, à Athènes. Et, afin de rester fidèle à l'esprit des jeux antiques, il fut décidé que les modernes olympiades ne comporteraient pas seulement des épreuves sportives, mais aussi des joutes intellectuelles : poésie, théâtre, littérature furent convoquées, à condition que les œuvres présentées traitent du sport. Mens sana in corpore sano, comme disaient les Romains. En 67 de notre ère, ils eurent à subir, en Grèce, la poésie et une pantomime nées dans l'esprit fertile et dérangé de leur empereur, Néron (outre sa participation − pitoyable − à des courses de char).
Louis Chevaillier, dans son essai érudit et contextualisé à l'extrême (il nous raconte par exemple l'histoire des principales disciplines sportives olympiques, cyclisme, tennis, rugby, football, natation...), ne remonte pas aussi loin dans le temps, mais jusqu'aux derniers JO qui se sont tenus à Paris, il y a un siècle tout juste, en 1924. Et qui comportaient, ce qui fut le cas de tous les Jeux jusqu'en 1948, un concours d'art et de littérature. Un jury international fut constitué, présidé par le poète populaire et déjà âgé Jean Richepin, auteur de La chanson des gueux, qui avait connu Rimbaud et Verlaine et été l'amant de Sarah Bernhardt. C'était un sportif accompli et aussi un grand patriote. À ses côtés, Maurice Barrès, Paul Claudel, Jean Giraudoux, Henri de Régnier et Maurice Maeterlinck, ainsi que Gabriele d'Annunzio, Edith Wharton, ou encore Selma Lagerlöf. Les candidats, eux, furent trente-deux, de dix pays différents, à envoyer leurs textes sur le sport, souvent pompiers.
Le seul qui s'en tira avec les honneurs et dont le « Tibre et Oronte », repris plus tard dans ses Olympiques, n'ait pas été oublié, c'est Henry de Montherlant. Un texte païen, où l'ancien footballeur exaltait la beauté du corps, surtout masculin ; ce qui lui valut, plus tard, d'être taxé de misogynie et méchamment étrillé par Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe. Cependant, ce n'est pas Montherlant qui fut couronné, mais le bien obscur Géo-Charles (alias Charles Guyot, né en 1892), lui aussi ancien footballeur, ancien combattant de 14-18, et auteur de « poésie sportive ». Étonnamment, sa pièce, Jeux olympiques, lui valut une critique élogieuse d'un certain Henri Michaux. Le texte parut chez Gallimard en 1925. L'auteur est mort en 1963. La même année que Jean Cocteau. Hors compétition, ce dernier avait écrit le livret d'un ballet, Le train bleu, créé par la chorégraphe et danseuse Bronislava Nijinska, musique de Darius Milhaud, costumes de Coco Chanel, qui fut joué à l'occasion des JO au théâtre des Champs-Élysées. Tout cela avait une certaine allure.
À la fin de son ouvrage passionnant, Louis Chevaillier, poète lui-même, se demande s'il ne faudrait pas relancer l'idée, réintroduire de la littérature dans les JO. Pourquoi pas ? En France, cela aurait fait sens. Mais c'est trop tard pour cette fois.
Les Jeux Olympiques de littérature. Paris 1924
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 € ; 272 p.
ISBN: 9782246835820