Deux ans après l'instauration des frais de port obligatoires de 3 euros sur les achats de livres en ligne inférieurs à 35 euros, Amazon France continue de dresser un bilan critique de la loi Darcos. Dans une tribune diffusée ce 8 décembre sur son site, Frédéric Duval, directeur général de la filiale française, avance que cette mesure a coûté plus de 100 millions d'euros aux lecteurs français, sans bénéfice tangible pour les libraires indépendants.
Pour obtenir ce chiffre, la firme a extrapolé ses propres données de ventes sur l’ensemble du marché du livre en ligne, a précisé à Livres Hebdo un représentant français du géant américain.
La tribune argue que les 100 millions d'euros de frais supportés par les consommateurs auraient pu financer 12 millions de livres de poche supplémentaires, représentant 3 % du chiffre d'affaires annuel de l'édition française. Pour mémoire en 2024, l'industrie française de l'édition a réalisé un chiffre d'affaires de 2,902 milliards d'euros contre 2,945 milliards en 2023, soit une baisse de 1,5 %, selon les chiffres consolidés du Syndicat national de l'édition (SNE) publiés le 26 juin dernier. Le volume des ventes de livres en France s'est quant à lui élevé à 426 millions d'exemplaires écoulés, contre 439,7 millions l'année précédente (-3,1 %).
Amazon estime également que la mesure pénalise particulièrement les petits et moyens éditeurs indépendants ainsi que les auteurs qui s'appuient sur les ventes en ligne.
Le marché du livre français, « pire performance dans l'UE »
Le dirigeant s'appuie sur les données de GFK pour pointer un recul du marché français du livre de 3 % en volume en 2024, pour la deuxième année consécutive. « La pire performance dans l'UE », souligne-t-il. S’appuyant sur l’enquête de consommateurs commandée à Ifop l’hiver dernier, Frédéric Duval estime que plus de la moitié des lecteurs français ont réduit leurs achats de livres neufs en raison de ces frais. Le nombre d'acheteurs de livres neufs a chuté de 10 % en un an, avait déjà conclu le panéliste en janvier dernier.
Amazon conteste l'argument selon lequel ces frais auraient profité aux libraires de proximité. Selon la tribune, lorsque les lecteurs se déplacent en magasin pour éviter les frais de port, 70 % privilégient les hypermarchés et grandes chaînes culturelles, contre seulement 26 % pour les librairies indépendantes. Les ventes en librairie ont continué de baisser en 2024, tandis que l'année marque « un net fléchissement » des créations de librairies, après deux années record.
Amazon France appelle à explorer d'autres voies que le prix plancher des frais de port, citant l'exemple espagnol de frais postaux préférentiels, dans un pays où les ventes de livres ont progressé de 6% en un an- Photo CAPTURE D'ÉCRAN DU SITE AMAZON FRANCEPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Amazon continue d’affirmer livrer près de la moitié de ses livres vers les petites villes et zones rurales, soit 22 millions de Français vivant dans les 90 % de communes dépourvues de librairie de proximité, alors que Paris concentre 20 % des librairies françaises pour 3 % de la population. « Cette mesure taxe la lecture et affecte de façon disproportionnée les Français qui font déjà face à des barrières géographiques et financières d'accès à la culture », écrit Frédéric Duval.
Réaction aux propos de Rachida Dati
À la suite de l’interview dans Livres Hebdo de la ministre de la Culture Rachida Dati la semaine dernière, exhortant à « mettre le livre partout », le dirigeant avait réagi sur le réseau social LinkedIn. « Mettre le livre partout, c'est accepter que les Français accèdent à la culture par tous les canaux disponibles – physiques ET digital – plutôt que de les opposer artificiellement », avait-il posté.
Dans sa tribune, le directeur général appelle à explorer d'autres voies, citant l'exemple espagnol de frais postaux préférentiels, dans un pays où les ventes de livres ont progressé de 6 % en un an. « Les politiques culturelles devraient refléter la réalité de la façon dont les gens accèdent aux livres aujourd'hui », conclut-il, plaidant pour une approche conciliant réseau de librairies indépendantes et égalité d'accès à la culture.
Cette tribune est publiée alors que la Cour de Justice européenne doit statuer prochainement sur la saisine du Conseil d’État français par Amazon, pour excès de pouvoir.

