Les livres d’éveil sont-ils des jouets comme les autres ? Une proposition de règlement de la Commission européenne publiée le 27 juillet dernier le laisse penser. Partant du constat qu’il existait des lacunes dans le niveau de protection des enfants contre les risques éventuels liés aux jouets, en particulier s’agissant des substances chimiques nocives, le texte envisage une révision de la directive sécurité des jouets de 2009, avec pour conséquence possible la soumission de certains livres d’éveil à de nouvelles obligations prévues pour les jouets par la réglementation européenne.
Pour mémoire, dans son libellé de 2009, la directive jouet ne mentionne à aucun moment les livres. Seul son document d’orientation, d’application facultative, peut servir pour les autorités des différents pays européens. Or ce document est déjà jugé problématique par les éditeurs, car il a pour conséquence de les soumettre à de nombreux tests. Sur la base de définitions dont les éditeurs dénoncent « les incohérences », il considère par exemple comme relevant de la catégorie jouet les livres tout-carton, les livres à toucher ou encore les pop-ups sonores.
Des coûts disproportionnés
Alors même qu’elle ne mentionne pas non plus le terme « livre », la proposition de règlement du 27 juillet inquiète les éditeurs, car elle aboutirait à augmenter leurs coûts de production. En cause, l’ajout de deux éléments à la directive : dans un premier temps, le renforcement de la protection des enfants par rapport aux substances dangereuses susceptibles de se trouver dans les livres d’éveil, à travers une interdiction totale de ces substances, occasionnerait de nouveaux tests. Ensuite, l’obligation d’attribuer, via un QR code, un passeport numérique aux livres-jouets concernés entraînerait des « coûts disproportionnés », alertent les éditeurs, qui estiment par ailleurs que cela ne résoudrait pas le problème des jouets dangereux provenant de Chine et d’autres pays.
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Ce changement de la réglementation pourrait ainsi entraîner d’importantes conséquences sur l’avenir de l’offre de livres à destination des tout-petits. Directrice d’Albin Michel Jeunesse, Marion Jablonski redoute même « un effet paralysant » pour l’édition jeunesse. « Nous sommes déjà dans des économies hyper tendues, avec peu de marges de manœuvre au niveau des coûts de fabrication, rappelle-t-elle. Les prix du papier ont beaucoup augmenté depuis deux ans ; si les livres d’éveil sont soumis aux mêmes obligations que les jouets, les éditeurs éprouveront des difficultés à équilibrer leurs projets. »
Le sujet est suivi près par le Syndicat national de l’édition et la Fédération des éditeurs européens, qui estiment que la proposition de règlement ne résout pas la question des tests trop lourds. Les instances appellent également à ce que les livres-jouets soient définis sur la base de leur contenu et non sur celle de leurs matériaux. Une position largement partagée par la profession : « Il y a un véritable enjeu culturel à affirmer que le livre tout carton pour tout-petit soit exclu de ces règles et dans la mesure où le livre initie à la lecture et qu’il n’est pas seulement un jouet qu’on manipule », conclut Marion Jablonski.