Alors que pour sa 36e édition le salon Livre Paris faisait peau neuve sous le signe du "réenchantement", avec un nouvel agenda et de nouvelles programmations, la manifestation a enregistré selon ses organisateurs, le Syndicat national de l’édition et Reed Expositions, "une baisse de fréquentation d’environ 15 %" par rapport à 2015. En attendant les chiffres officiels, indisponibles à l’heure où nous mettions sous presse, quelque 155 000 personnes auraient donc arpenté la porte de Versailles du 17 au 20 mars, contre 182 000 l’année précédente. Cette diminution était pressentie avant la fin de la manifestation par nombre d’exposants qui s’attendaient majoritairement à une contraction de leurs recettes.
Pour les organisateurs comme pour le président du Centre national du livre (CNL), Vincent Monadé, la moindre affluence, qui touche tous les grands salons parisiens, s’explique en grande partie par le climat engendré par le 13 novembre et par les contraintes du plan Vigipirate. Mais les éditeurs exposants remettent aussi sur la table la question récurrente du prix du billet d’entrée - 12 euros -, même si l’accès est libre pour les moins de 18 ans.
Quelques semaines plus tôt, la Foire de Bruxelles a offert la gratuité à ses visiteurs et "ils ont fait carton plein et + 30 % en moyenne de chiffre d’affaires, ce n’est tout de même pas un hasard", souligne Patrick Hourcade, responsable des salons chez Delcourt. Et de se demander "comment [on peut] espérer un événement populaire à ce prix-là ?".
L’interrogation est largement partagée par les éditeurs et renforcée par la nouvelle interdiction pour le public d’amener ses propres exemplaires à dédicacer. Si la règle n’a pas rigoureusement été appliquée, elle a, selon la responsable du stand de Milady, "refroidi pas mal d’habitués qui ont décidé de ne pas venir". Surtout, le nouvel agenda de la manifestation, du jeudi au dimanche au lieu du vendredi au lundi, est unanimement critiqué par les éditeurs, dans une colère à peine voilée contre le fameux "jeudi noir".
Changer l’agenda
Le déplacement de la journée professionnelle du lundi au jeudi matin, jour d’ouverture du salon, de 9 à 11 heures, suscite une incompréhension totale. "C’était ridicule. Il y avait quelques libraires courageux mais presque personne en comparaison des autres années puisque le jeudi ils travaillent, cela écarte de fait ceux qui viennent de province", regrette-t-on chez Zulma. "Il faut absolument revenir à la formule précédente", tranche Jean-Paul Hirsch, le directeur commercial de P.O.L.
Même son de cloche à L’Olivier, dont le P-DG, Olivier Cohen, ne mâche pas ses mots : "Notre bilan est désastreux, en grande partie à cause de la journée de jeudi qui était de bout en bout un non-sens absolu." Car au-delà de la matinée professionnelle, Livre Paris avait reprogrammé ce même jour la nocturne (jusqu’à 22 heures) un temps délaissée, qui l’a été, cette année, par le grand public. "On aurait pu entendre les pages mortes voler dans les allées", ironise-t-on chez Allary. Sur la nocturne, les éditeurs font d’ailleurs assaut de qualificatifs : "flop total", "erreur monumentale", "humiliation", etc. Défaut de communication pour certains, mauvais choix du jour pour d’autres, le bilan reste en tout cas le même pour tous : la journée de jeudi s’est soldée par un échec en termes de fréquentation mais aussi de chiffre d’affaires.
Durant le week-end, des maisons comme Actes Sud ou Zulma ont rattrapé ce retard, atteignant à peu près l’équilibre. D’autres, tels Grasset, Harlequin ou le pôle BD de Média-Participations affichent une croissance tractée par de grosses signatures. Mais le premier bilan commercial est plutôt morose. Chez Gallimard, Flammarion, Libella, Glénat ou encore au Square culinaire, on estimait à chaud que malgré un "exceptionnel" samedi, le manque à gagner de cette journée, doublée d’un vendredi "mou" ne serait pas rattrapable. "Pour un petit éditeur indépendant comme nous, qui vient avec toute son équipe pour rencontrer les professionnels et le public, c’est un échec. Cela remet en cause ma participation au salon car je ne rentre pas du tout dans mes frais", explique Sabine Wespieser, des éditions du même nom.
Programmation appréciée
Si, comme ses confrères, la P-DG d’Actes Sud, Françoise Nyssen, constate un échec du nouveau calendrier, "sur lequel le salon n’a pas suffisamment communiqué", et souhaite un retour à l’ancienne formule, elle tient cependant à "saluer les énormes efforts de programmation" de cette nouvelle formule. "Le peu de public venu le jeudi soir a d’ailleurs investi la scène littéraire", se félicite-t-elle. Sur l’estrade ce soir-là, le "Live Magazine" réunissait des auteurs comme Mathias Enard ou Catherine Clément qui narraient à un auditoire nombreux des histoires qu’ils avaient vécues ou dont ils avaient été les témoins. Une initiative qui s’inscrit dans le renouveau de la programmation souhaité par les organisateurs pour redonner du souffle au salon. "J’ai été très impressionnée de voir le nombre de personnes présentes chaque jour sur cette scène littéraire, presque toujours remplie alors qu’elle compte 400 places", souligne Liana Levi, P-DG des éditions du même nom, qui se réjouit que le salon ait donné au grand public "les outils pour satisfaire sa curiosité du monde en général et du livre en particulier". Des débats du CNL aux entretiens du Collège de France en passant par l’espace BD ou celui dédié à "Religion, culture et société", cette programmation "éditorialisée" a plutôt séduit les professionnels. "Ces espaces de rencontre sont susceptibles de faire la différence au salon, il y avait une vraie appétence du public, il faut continuer comme ça", souhaite Denis Guillaume, des éditions Empreinte.
L’accent avait été aussi mis sur l’interaction entre acteurs du livre et grand public avec, notamment, les Flâneries littéraires, nouveauté à succès (800 inscriptions) plébiscitée par certains éditeurs comme Thierry Magnier, qui en a mené une. "C’est une excellente idée, qui apporte de la richesse et du fond mais il faudrait étendre ce concept au secteur jeunesse, qui est en souffrance sur ce salon." Le Square jeunesse, excentré au sein du salon, n’a pas franchement séduit les plus jeunes, ni les éditeurs du secteur. Ces derniers saluent tout de même l’initiative du bus France Info ou celle de Livres en Seine, qui s’est tenue à Paris le week-end précédant le salon. "J’ai trouvé très positif que les auteurs soient mis en avant de façon ludique, par le biais d’ateliers pour les enfants : il faut qu’on réfléchisse à la façon d’amener ce jeune public à nous au salon", estime Patrick Hourcade (Delcourt). Pour Thierry Magnier, il s’agit là de signes évoquant "peut-être un chemin pour une amélioration".
Formule de transition
Cette prudence est partagée par nombre d’éditeurs qui, bien qu’ayant apprécié certains aspects de la nouvelle programmation, sont loin d’être enchantés par une formule qu’ils espèrent transitionnelle et non définitive. Si le salon est encore considéré par beaucoup comme "une belle vitrine du secteur" qui génère d’intéressantes rencontres, certains comme Olivier Cohen estiment que "cette édition signe la faillite d’un modèle qui ne marche plus".
Au-delà de l’agenda de l’événement, beaucoup d’éditeurs indépendants se plaignent du prix des stands (rarement rentabilisé) qui empêche la présence des petites maisons, de la "peopolisation" croissante de la manifestation jugée souvent trop commerciale, ou tout simplement du lieu en affichant leur nostalgie récurrente pour l’époque du Grand Palais. D’autres cherchent de nouvelles idées. "L’initiative hors les murs allait dans le bon sens. Il faudrait franchir le pas en transformant le salon en une vraie fête du livre gratuite, qui serait célébrée simultanément dans différents lieux de Paris", suggère Liana Levi. Face à une formule qui, de l’avis général, se cherche encore, "soyons patients et constructifs, plaide Olivier Nora, le P-DG de Grasset. On ne réenchante pas un tel événement d’un coup de baguette magique." Pauline Leduc
La 37e édition de Livre Paris se tiendra du jeudi 23 au dimanche 26 mars 2017 porte de Versailles.
L’avenir du salon passe par les partenariats
Les présidents du SNE, Vincent Montagne, et de Reed Expositions France, Michel Filzi, précisent les ambitions de leur nouveau contrat pluriannuel.
Vincent Montagne - Nous avons signé un contrat à moyen terme sur trois ans reconductible. La réflexion sur la forme des éditions à venir remonte à septembre 2014. Le premier débat à purger était celui du déménagement au Grand Palais. Nous voulons faire un salon du livre grand public festif qui draine la jeunesse et pas un festival littéraire à Paris. Il faut donc rester à la porte de Versailles qui a une capacité d’accueil cinq fois plus importante.
Michel Filzi - Nous avons proposé pour cette année un réenchantement du salon autour de trois axes : l’éditorialisation, l’animation et le hors-les-murs. Nous avons investi conjointement plusieurs centaines de milliers d’euros. Des surcoûts que nous espérons transformer en investissement. Notre business plan fixe une tendance à la hausse des investissements.
V. M. - Nous avons été agréablement surpris par la puissance intellectuelle de rénovation du salon. La croissance de la médiatisation de Livre Paris (+ 30 %) et le développement de l’événementiel engendrent une augmentation des partenariats, plus que de la fréquentation porte de Versailles. L’une des grandes nouveautés est que la Mairie de Paris a accroché à l’événement. Nous voulons nous donner les moyens de financer des hors-les-murs plus festifs, cela passera par le développement des partenariats.
V. M. - Le développement des partenariats nous apportera peut-être des solutions.
M. F. - L’expérience de Reed montre que la gratuité n’apporte rien. Livre Paris ne reçoit aucune subvention. Nous avons donc l’obligation de trouver des recettes. Elles se trouvent dans la billetterie et dans la location des stands. Le plus important dans un salon, c’est le contenu. Si l’expérience est agréable, 12 euros, ce n’est pas une somme rédhibitoire.
V. M. - Il y a eu 80 candidats et le SNE a été associé au choix, ce qui, par le passé, n’a pas toujours été le cas.
M. F. - Sébastien Fresneau (1) vient d’un secteur culturel différent, la musique, avec une expérience de huit ans à l’étranger, utile alors que l’internationalisation est l’un des axes de développement de Livre Paris.
Propos recueillis par A.-L.W.
(1) Voir sur Livreshebdo.fr.