8 février > Essai France > Mathieu Guidère

Allahu akbar, "Dieu est le plus grand"… On l’a entendu, hélas, trop souvent dans un contexte tragique. Louange utilisée de manière dévoyée par des islamistes radicaux voulant justifier leurs actes barbares au nom de la religion. La justification du politique, fût-il totalitaire, par le religieux ne date pas d’hier. L’alliance des deux concerne toutes les confessions, et elle a eu lieu à chaque époque. Quoique l’un des plus grands apports de la modernité soit la séparation du gouvernement temporel d’avec l’ordre de la foi, aujourd’hui encore cette collusion semblerait être une tentation trop fréquente en terre d’islam. Sans aller jusqu’à l’apologie du djihadisme - ce sont les musulmans, rappelons-le, les premières victimes de cette terreur faite aux censément impurs et dits mécréants -, on note dans nombre de pays de tradition musulmane un tropisme théocratique : une volonté d’immixtion du religieux dans les affaires civiles. C’est que cette indissociabilité fut décrétée par les premiers califes et prend pour base le texte sacré, fondateur, qu’est le Coran : "Progressivement [sous les Omeyyades (661-750), puis les Abbassides (750-1258)], la conception du "califat" (pouvoir temporel) et celle de l’"imamat" (pouvoir spirituel) se rejoignent pour fusionner dans une seule même personne, celle du "calife-imam" qui détient la totalité du pouvoir sur l’ensemble de la communauté musulmane", rappelle Mathieu Guidère dans un essai aussi clair qu’éclairant, Au commencement était le Coran. Ce spécialiste des islamismes relate les origines du texte coranique : les versets dogmatiques, la tradition, les commentaires intégrés au corpus… Une rédaction sur fond de schisme, entre les partisans d’Abou Bakr, compagnon de route de Mahomet (sunnisme), et d’Ali, gendre et cousin du Prophète (chiisme). Ce faisant, l’auteur montre comment assez tôt les spéculations métaphysiques ont été mises sous tutelle par les autorités politiques, notamment avec le troisième calife Othman, qui fit compiler les "bonnes" versions du Coran et détruire tout ce qui y dérogeait. Cette cristallisation du texte a favorisé une certaine orthodoxie, voire orthopraxie, une application littéraliste de ces écrits sacralisés (la langue arabe est divinisée) et, partant, a empêché des travaux d’exégèse et l’effort d’herméneutique comme ils purent avoir lieu dans les deux autres religions du Livre, le judaïsme et le christianisme.

Mais cette littéralité sclérosante, voire mortifère, n’est pas une fatalité. Et Mathieu Guidère de conclure en exhortant avec le réformiste Mohamed Talbi (1921-2017) à "lire le Coran avec les yeux des vivants et non ceux des morts". Sean J. Rose

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