4 septembre > roman France

Il s’appelle John Mitchell, a été un "serviteur loyal et zélé de la grande, de l’immense Amérique". Le héros et narrateur du quatrième livre de Gaëlle Josse, le premier à paraître dans "Notabilia", est le dernier gardien et le dernier prisonnier d’une île fameuse. En ce mois de novembre 1954, il ne lui reste que neuf jours, pas un de plus, avant que les hommes du Bureau fédéral de l’émigration ne viennent définitivement fermer le centre d’Ellis Island.

En attendant, le voilà devant les "couloirs vides, les étages désaffectés, les escaliers désertés, les cuisines, l’infirmerie, le grand hall" où depuis longtemps seuls ses pas résonnent. Ellis Island, "l’île de l’espoir et des larmes", John y travaille depuis quarante-cinq ans, entouré "de gris, d’eau, de ciment et de brique". Les immigrants venus de toute l’Europe ont débarqué là pendant des décennies.

Des hommes, des femmes et des enfants venus par la mer, avec de la peur et de l’attente dans le regard. Tous devaient passer devant l’officier de santé, répondre à un questionnaire avec l’espoir d’entamer une autre vie. Le dernier hôte de John vient de partir : un marin norvégien en attente d’une décision de justice. Le "capitaine d’un vaisseau fantôme livré à ses propres ombres" laisse remonter les souvenirs, bons ou mauvais.

Il repense ainsi à sa femme Liz, infirmière passionnée de comédies musicales, plus jeune sœur d’un ami d’enfance, qui a été emportée par le typhus à 27 ans. Et aussi à Nella Casarini, arrivée un jour de Sardaigne avec un jeune frère un peu demeuré qui allait finir tragiquement. Comment oublier le désir violent ressenti pour la beauté brune qu’il lui avait fallu posséder ? L’auteure des Heures silencieuses (Autrement, 2011, repris en "J’ai lu") a visité les lieux, dont elle s’empare, en 2012, saisie alors d’une fulgurante émotion. Mélangeant faits réels et romanesque, elle signe ici un texte aussi incarné que mélancolique et vibrant.

Alexandre Fillon

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