« Le passé est partout présent, tout le temps, il est pareil à un sombre chaudron qui bouillonne. » Aussi vous explose-
t-il parfois à la figure. C'est ce qui arrive à Clemantine Wamariya, sur le plateau d'Oprah Winfrey. Cette dernière aime se pencher sur des histoires incroyables. Avec cette jeune fille, réfugiée rwandaise aux Etats-Unis, elle est servie. De là à lui annoncer que ses parents sont en vie et qu'ils vont apparaître en tenue de soirée sur le plateau, quel choc ! La vie n'a pourtant rien d'un film hollywoodien, raison qui pousse Les Escales à lancer une collection de récits, dirigée par Sarah Rigaud. L'ambition ? « Faire découvrir le monde et l'Autre autrement ».La fille au sourire de perles s'avère « un témoignage singulier sur la stigmatisation des réfugiés ».
Comme le signale d'emblée Clemantine Wamariya, « le mot génocide ne permet pas d'appréhender les expériences individuelles ». La sienne est essentielle pour saisir ce drame, aux séquelles innombrables. « Lorsque, j'étais une enfant comme les autres, je vivais à Kigali, au Rwanda. » Sa famille, pressentant le danger, décide de mettre ses filles à l'abri. L'aînée, Claire, a 15 ans, et la narratrice 6 ans en cette funeste année 1994. Obligées de fuir en permanence, les sœurs rencontrer le pire. « Nous vivions et dormions sur un champ de bataille, perdues dans un brouillard de violence gratuite. Le viol est l'histoire des femmes et de la guerre, des filles et de la guerre. » Celle-ci ne leur épargne rien, ni la faim, ni la misère, ni les camps de réfugiés insalubres, dans cette région transformée en poudrière. Le Zaïre, la Tanzanie, le Mozambique ou l'Afrique du Sud font partie des pays où Clemantine et Claire espèrent trouver du répit. Ce n'est qu'un leurre, d'autant que la grande sœur tombe enceinte. Le miracle survient quand elles s'y attendent le moins, elles ont la possibilité de rejoindre les Etats-Unis.
Leurs chemins soudés vont se séparer, en raison de leurs caractères et leurs situations opposés. Si Claire doit se débrouiller pour s'en sortir, Clemantine est recueillie par une famille, qui l'élève comme sa fille. Sa survie intérieure demeure pourtant incertaine. « Souvent, l'histoire me semble fragmentée. J'ai perdu la notion de qui j'étais. Comment suis-je arrivée ici, où je ne suis rien. Les adultes me disaient "Tu es si forte, si courageuse". Mais je ne voulais pas être forte ni courageuse. Je voulais avoir un nouveau cerveau tout léger, qui ne soit pas tourmenté par les guerres et la peur. » Impossible de les effacer des pensées de Clemantine, à la lucidité remuante. « Le monde ne te doit rien. Lorsqu'on n'a pas sa place dans un pays, le monde décide que nous ne méritons rien. » Comment évoluer malgré tout ? Comment dialoguer avec les siens et avec soi-même quand il y a un tel décalage, lié à ses blessures invisibles ? « Etre réfugiée, c'était être une victime. Il y avait en nous une faiblesse irréversible, inhérente à notre être. » Mais en dépit de cela, « la véritable survie du corps et de l'esprit requiert de la créativité, la liberté de pensée... » Une leçon tristement d'actualité.
La fille au sourire de perles - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Elizabeth Weil
les Escales
Tirage: 1 000 ex.
Prix: 20,90 euros ; 304 p.
ISBN: 9782365694186