Le 30 avril 2014, la Cour de cassation a examiné une singulière facette de l’obligation, à laquelle l’éditeur est tenu, d’assurer une exploitation permanente et suivie de son catalogue.
Rappelons que, après la publication proprement dite, et selon les termes mêmes de l’article L. 132-12 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), « L’éditeur est tenu d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession ».
À défaut de cette exploitation permanente, l’éditeur s’expose à une résiliation à ses torts, que l’auteur pourra obtenir en justice. Une juridiction a ainsi considéré qu’aucune réelle commercialisation n’avait lieu dès lors que l’ouvrage n’était disponible que par commande et n’avait connu comme diffusion que des encarts dans les seules revues de l’éditeur. La jurisprudence reste dans tous les cas assez sévère pour ce qui concerne la diffusion et la promotion de l’ouvrage et a tendance, contrairement à ce que la loi lui indique, à ne pas se référer à la pratique de la profession. Une célèbre affaire, ayant opposé dans les années 1950 Montherlant à Grasset, permet de mesurer ce qu’attendent les tribunaux des éditeurs : en l’occurrence, ils s’étaient penchés sur les tirages de départ, les réimpressions, l’état des stocks et des ventes, les avaient comparés avec ceux pratiqués par d’autres éditeurs, et avaient étendu ces comparaisons à la publicité et à la promotion auprès des libraires et de la presse. Selon la jurisprudence la plus récente, si aucune forme de publicité n’est prévue dans le contrat, l’éditeur doit procéder à une publicité conforme au type de l’ouvrage, c’est-à-dire, au minimum, à l’envoi de services de presse et à l’insertion du titre dans son catalogue. L’éditeur peut cependant arrêter une campagne de publicité jugée inutile et trop coûteuse.
Outre qu’il doit diffuser l’ouvrage, l’éditeur doit veiller à ce qu’il reste disponible. L’article L. 132-17 du CPI, pris en ses alinéas deux et trois, envisage la résiliation automatique du contrat d’édition de l’ouvrage, si l’éditeur ne procède pas, « en cas d’épuisement, à sa réédition ». Précisons que « L’édition est considérée comme épuisée si deux demandes de livraisons d’exemplaires adressées à l’éditeur ne sont pas satisfaites dans les trois mois. »
L’éditeur peut aménager cette disposition par une clause lui accordant certains délais de réimpression et prévoyant une procédure à respecter par l’auteur insatisfait ou impatient (par exemple, l’envoi d’une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception). Il est donc toujours bon de garder, en cas de pilonnage, un nombre suffisant d’exemplaires qui permettront de répondre aux épisodiques commandes et, par là, de conserver le bénéfice du contrat d’édition en prévision d’éventuelles nouvelles exploitations parfois inattendues (cession pour une adaptation audiovisuelle, une traduction, etc.). Il est en revanche a priori illicite qu’un éditeur prévoie une clause lui permettant de retirer un titre de son catalogue avec la faculté de l’y réintroduire ultérieurement. Et il a même été jugé que l’éditeur ne peut arguer d’une éventuelle nouvelle législation concernant le sujet traité par l’auteur pour refuser une réédition de son livre alors que celui-ci était épuisé depuis plus d’un an.
Or, dans l’affaire que vient de juger la Cour de cassation, un auteur avait cédé à l’administration fiscale la nue-propriété des droits patrimoniaux de ses œuvres. La maison d’édition avait alors nettement relâché ses efforts. Ce que l’auteur lui reprochait en justice.
Les hauts magistrats ont retenu que l’éditeur n’était plus lié par une obligation d’exploitation aussi soutenue, en particulier parce que, si ce n’est à la demande de l’auteur à tout le moins avec son accord, l’éditeur avait privilégié certains modes d’exploitation moins générateurs au motif qu’il n’y avait pas d’intérêt à ce que l’œuvre soit exploitée car cela engendrait de l’impôt en plus…